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Bruce Lee, le samouraï des temps modernes

Par JACQUET Francis - 12 Juillet 2023
Thématiques : Arts martiaux
Discipline : Kung-fu
Niveaux de pratique : Débutant

Bruce LeeTout le monde connaît notre Petit Dragon, qui a révolutionné le kung fu. Cependant, beaucoup ignorent les principes qu’il mettait en exergue dans sa pratique.
On pourrait même dire que c’était «le» samouraï de la boxe chinoise.
Avant de parler des préceptes du samouraï (que Bruce Lee possédait), il faut faire un parallèle avec un bretteur d’exception, un combattant hors pair et particulier, de la même trempe, j’ai nommé Myamoto Musashi, le plus grand samouraï de tous les temps. L’un a déployé son art en Chine au 20ème siècle, l’autre au Japon au 17ème.
Tout le monde connaît l’histoire de Bruce Lee, mais moins celle de Myamoto Musashi. Nous nous focaliserons donc plus au niveau historique sur celle du samouraï du 17ème siècle.
Ce qui est fascinant, c’est que dès que l’on décortique avec soin les films de Bruce Lee, on y retrouve énormément de messages sur les «secrets du kung fu», et non pas seulement de belles prestations d’athlète. On y découvre tous les principes fondamentaux de l’énergie interne et des subtilités martiales extraordinaires : les préceptes énergétiques* qui sont le fondement de l’art martial externe sont illustrés dans « Big Boss », « La Fureur de vaincre » et « Opération Dragon ».

Japon – Chine : les similitudes
Malgré trois siècles d’écart, nous retrouvons ces mêmes guerriers animés de cette passion pour les arts martiaux avec des similitudes frappantes. Deux hommes hors du commun et surtout hors des chemins tracés par les grandes « écoles traditionnelles ».
Les deux ont créé chacun un style particulier de combat.
Ils possédaient la même stratégie de combat qui fait partie des fameux préceptes du samouraï.

Les points communs
Bruce a utilisé ces 2 noms, chinois et anglais : Li Jun Fan et Bruce Lee. Idem pour Myamoto, qui s’appelait Bennosuke jusqu’à ses 20 ans. Bruce se battait beaucoup quand il était jeune notamment en relevant des défis sur les toits des immeubles de Hong-Kong.
Un peu d’histoire pour Myamoto Musashi :
« Un matin de l’an 1596, aux abords de Hirafuku, un village de la province de Banshu, Arima Kihei, homme d’épée adepte du style Shinto Ryu, patientait, assis, dans l’attente d’excuses formelles de la part d’un jeune homme de 13 ans du nom de Miyamoto Bennosuke, le Gaki Daisho du coin – chef de tous les malandrins des environs et roi des fauteurs de trouble de Hirafuku.
Histoire : Kihei était dans la contrée depuis quelques jours seulement ; il avait placardé un écriteau au sommet d’une simple tige de bambou et avait peint de grands idéogrammes dorés afin de signifier aux gens du village qui étaient prêt à affronter quiconque oserait mesurer ses talents aux siens.
Il faut rappeler qu’à cette époque, il était fréquent de développer ses talents de bretteur en provoquant en duel soit un personnage précis, soit tout samouraï voulant bien relever le défi.C’était une façon de développer ses talents de combattant et d’apprendre de nouvelles techniques auprès des adversaires, mais aussi de se faire connaître par un maître ou encore une école réputée.
Pourquoi avait-il choisi de relever ce type de défi dans une contrée aussi reculée que Hirafuku ? Peut-être savait-il qu’un maître de sabre et de jitte, du nom de Hirata Munisai était installé dans les environs, et peut-être souhaitait-il attirer son attention.
Quelle n’allait pas être sa déception ! Plutôt qu’un combattant aguerri de la trempe de Munisai ou que tout autre homme d’épée errant, c’est le jeune Bennosuké qui, le premier, remarqua la présence de la pancarte. Au terme d’une leçon de calligraphie, sur le chemin du retour, Bennosuke, à la vue de l’écriteau, sortit pinceau et encre, effaça l’inscription dorée et, dans un accès de bravade, écrivit : « Miyamoto Bennosuke, du Shoren- in, vous affrontera demain. »
Quand Kihei revint sur les lieux et constata cet acte de vandalisme, il dépêcha un disciple au Shoren- in où vivaient le jeune insolent et son oncle, le prêtre Dorinbo. Le prêtre blêmit lorsque le disciple fi savoir que son maître acceptait de relever le défi et s’empressa d’en appeler à l’indulgence du samouraï en expliquant que Bennosuke n’avait que 13 ans et qu’il fallait, en fait, interpréter l’inscription non comme un véritable défi, mais plutôt comme la marque de l’espièglerie d’un adolescent. Quand Kihei eut vent de cela, il fit montre de grandeur d’âme et fit informer Dorinbo qu’il comprenait sa position et qu’il était disposé à pardonner à l’adolescent si celui-ci venait en personne lui faire de solennelles excuses pour avoir sali son honneur. Grandement soulagé, le prêtre n’y vit aucune objection.
Le lendemain matin Kihei patientait, assis, dans l’attente du prêtre et du jeune homme, afin de clore l’incident. De nombreux badauds des environs s’étaient également rassemblés, qui avaient eu vent de la nouvelle effronterie de Bennosuké et souhaitaient voir Kihei infliger une bonne leçon à ce malotru.
Quand ils arrivèrent, les témoins ne manquèrent pas de remarquer que le jeune homme était armé d’un bâton de 1,80 mètre. C’est alors qu’au moment précis où il aurait dû s’incliner en témoignage de son envers Kihei, Bennosuke contre toute attente, lança son attaque. Le samouraï aussi fut surpris et, n’eût-il pas joui d’une longue expérience du combat, il aurait probablement essuyé le coup. Mais il fut prompt à esquiver et sortit sa lame du fourreau pour se mettre en garde. Il ne fait aucun doute que les témoins ne donnaient, à ce moment précis des hostilités, pas cher de la vie de Bennosuké. Après quelques échanges, ce dernier jeta soudain son bâton au sol et se rua sur son adversaire pour le saisir, l’arracher du sol et le jeter par terre la tête la première. Après quoi, il se saisit de nouveau de son bâton, acheva son adversaire et rentra chez lui. »
D’après le livre « Musashi, le samouraï solitaire » de William Scott Wilson.
Ceci illustre bien le côté guerrier et bagarreur qui est commun à nos deux artistes martiaux.

Il existe encore bien d’autres similitudes entre ces deux combattants, entre autres, le fait que Bruce Lee a écrit le « Tao of Jeet kune do » et Miyamoto a rédigé un livre qui fait encore référence à l’heure actuelle dans le milieu des hommes d’affaires japonais : « le Traité des cinq roues ».

Parallèles entre la vie de Musashi et ce que relatent les films de Bruce Lee
Maintenant, amusons-nous à faire un parallèle entre ce que Bruce Lee a transmis dans ses films et ce que Miyamoto a réellement vécu. N’oublions pas que le contexte des époques étant différent, il y a beaucoup de choses que Bruce n’aurait jamais pu réaliser dans la vraie vie, en revanche, ce qu’il relate dans ses films est étroitement lié à ce que Miyamoto a réellement réalisé.
Bruce Lee : Tout d’abord, dans le film « La Fureur de vaincre », on voit Bruce Lee entrer dans une école de karaté et la détruire littéralement. On sait qu’il était capable de le faire et que si l’occasion lui en avait été donnée dans sa vie, il ne se serait pas privé de le faire.
Myamoto (ronin = samouraï sans maître ni rattaché à une école), fils de Shinmen Munisai :

1ère partie
Les Yoshioka s’étaient bâti une réputation à Kyoto, ville où le clan était installé depuis des générations. Le tout premier Yoshioka Kenpo, (titre héréditaire pour nommer le chef de clan) qui se prénommait Naomoto, était un maître teinturier spécialiste des teintures noires et couleur thé, installé dans le quartier Shijo de la capitale. C’est au rythme incessant du matériel de teinture, allant et venant devant lui, qu’un jour une manière originale de tenir le sabre se révéla à lui ; une révélation qui allait être la base de son nouveau style et qui allait faire de son école l’une des plus célèbres du Japon. C’est ce même Namoto qui, avec ses hauts faits d’armes, attira l’attention du douzième Shogun Ashikaga, Yoshiharu. Il devint en conséquence, le premier instructeur de cette lignée. Trois générations enseignèrent aux Ashikaga ; puis arrivèrent les fils du Kenpo Naokata de la 3ème génération : Seijuro et Denshichiro. A leur endroit, les annales familiales Yoshioka-den stipulent : « Voici maintenant les frères Yoshioka. Ils acquirent la notoriété grâce aux arts martiaux et personne jusqu’à eux, n’était ou n’est parvenu à percer les mystères des dits arts comme ils l’ont fait. L’aîné, Seijuro, et son cadet, Denshichiro, se faisaient appeler « les frères Kenpo ». C’est sous leur impulsion quotidienne que l’art se renouvela pour tendre vers la perfection et peaufiner l’héritage légué par les précédentes générations. Seijuro, notamment, était considéré comme une fine lame, on le disait excellent à l’escrime, il était devenu le cinquième chef de clan, chez les Yoshioka.

Le choix de Musashi ne s’était pas fait au hasard ; il savait parfaitement qu’en défaisant Seijuro, il démontrerait non seulement ses qualités martiales à ses contemporains, mais aussi à son père Munisai, qui dispensait encore son enseignement sur Kyushu. Une génération plus tôt, Munisai avait su attirer l’attention du shogun Ashikaga, qu’il avait mandé à Kyoto afin de «comparer sa technique» avec celle de son instructeur du moment Yoshioka Naokata. L’inscription portée sur le Kokora hibun fait brièvement état de cet affrontement : «Sur les trois assauts lancés, Yoshioka prit l’avantage une fois et Shinmen deux fois. De ce jour-là, on qualifia Shinmen Munisai d’artiste sans égal sous le soleil.»

On peut, dès lors, imaginer l’enthousiasme de Seijuro à l’idée de relever le défi que lui lançait ce jeune homme. Il choisit d’ignorer le fait que ce dernier ne semblait d’aucun statut particulier, n’avait probablement reçu aucun enseignement digne de ce nom. À dire vrai, Seijuro espérait, par ce combat, s’assurer que la tache résiduelle qui maculait son patronyme, serait définitivement dissoute. On convient du lieu de l’affrontement, hors de l’enceinte de la capitale. Quand les deux hommes se rencontrèrent, Seijuro portait un sabre à la lame acérée tandis que Musashi – et cela allait devenir une coutume chez lui – était armé d’un bokuto, ou sabre de bois.
L’inscription, sur le Kokura hibun (monument monolithe à la mémoire Musashi érigé sur le mont Tamuke), relate l’évènement :
« Musashi et Seijuro s’affrontèrent comme lions et tigres dans le champ du Rendaiji, aux abords de Kyoto. D’un unique coup de taille du sabre de bois de Musashi, Seijuro s’effondra et perdit connaissance. Il avait été convenu au préalable, d’un vainqueur par coup unique ; aussi peut-on dire que Seijuro faillit perdre la vie ce jour-là. Il fut transporté, inconscient, sur une planche, et soigné par ses disciples qui s’affairèrent à le remettre sur pied. Il prit ensuite la décision d’abandonner les arts martiaux et devint prêtre bouddhiste. »
Le jeune inconnu venu de nulle part avait défait le chef du clan Yoshioka avec une telle évidence que celui-ci, humilié, renonça à sa carrière et se fit raser le crâne.

NDR : on passera ici sur le fait que Musashi a employé une stratégie particulière, pour déstabiliser son adversaire, que l’on relatera un petit peu plus loin. Une école aussi prestigieuse que celle des Yoshiokas, qu’à lui seul, Musashi défait littéralement n’est pas sans rappeler, la raclée qu’infligea Bruce Lee à l’école de karaté dans le film « la Fureur de vaincre ».

2ème partie : à la suite de cette défaite, les Yoshiokas se devaient, en vertu des principes en vigueur, de réparer l’honneur bafoué. Qu’est-ce qui permettait de garantir que la défaite de Seijuro n’était pas le fruit d’un mauvais coup du sort ? La très respectable école de Yoshioka, vivier de générations d’instructeurs au service des shoguns Ashikaga, pouvait-elle se laisser humilier de la sorte, et donc perdre ses privilèges du fait d’un méprisable Ronin, dénué de convenance, issu d’on ne sait quelle contrée perdue au fin fond de la campagne japonaise ? Une telle perspective était inconcevable à leurs yeux et c’est la raison pour laquelle un second affrontement fut organisé, opposant, cette fois-ci, Musashi au frère de Seijuro, Denshichiro.
On disait ce dernier très fort ; n’était-il pas l’autre Kenpo des Yoshioka ? Il s’arma d’un sabre de bois de plus d’un mètre cinquante de long, à l’extrémité tranchante. Indépendamment de l’aspect purement technique, le maniement d’une telle arme requérait, selon toute évidence, une force considérable. À nouveau la rencontre fut organisée en dehors de la capitale. Une nouvelle fois, elle allait être fulgurante. Musashi qui avait maintenant une idée du tempérament des Yoshioka, et avait pris soin d’évaluer le caractère de Denshichiro, se montra une nouvelle fois en retard (une des fameuses « stratégies » de Musashi). L’impatience de son adversaire eût l’effet escompté et quand celui-ci délivra une attaque agressive portée par la colère, Musashi esquiva adroitement le coup de Denshichiro, arracha violemment son sabre et porta un coup d’estoc. Plusieurs récits de l’affrontement rapportent que «Denshichiro tomba et mourut à l’endroit même où quelques instants plus tôt il se tenait debout.» L’affrontement fut l’affaire de quelques secondes et les disciples ébahis du Kenpo n’eurent pour tout recours que celui de ramener le corps sans vie de Denshichiro à Kyoto. Ainsi s’éteignait, tragiquement, la quatrième génération des Kenpo du clan Yoshioka.

NDR : l’histoire ne s’arrête pas là, puisque les revanches ont toujours occupé une place prépondérante dans l’histoire du Japon, et c’est ainsi que le duel fut organisé pour un nouvel affrontement avec Musashi, qui cette fois-ci, devait se mesurer au fils de Seijuro, considéré, désormais, comme le Kenpo de la cinquième génération, qui en fait était un piège à l’encontre de Miyamoto, ce qui donna le fameux « duel à Ichijoji ». Lors de cet affrontement, Musashi affronta 80 samouraïs à lui tout seul. Matashichiro fut tué et la réputation de la plus grande école du pays fut détruite définitivement.
Cela rappelle la leçon cuisante que Bruce infligea dans son film à l’école de karaté, tout seul lui aussi face à une horde de karatékas. C’est étrangement similaire (on peut même faire l’analogie des deux kenpos avec le maitre japonais de karaté et le lutteur russe doté d’une force incroyable).

On peut continuer l’analogie entre le film de Bruce Lee et la vie de Miyamoto en prenant l’exemple du changement de stratégie employée par Bruce Lee face à Chuck Norris dans le film la «Fureur du dragon». Bruce Lee fut obligé de changer littéralement sa façon de se battre car il était évident qu’il serait difficile pour lui de battre son adversaire en conservant la manière codifiée des combats en arts martiaux, tels que les pratiquants l’employaient à l’époque.

Nous allons maintenant décortiquer la stratégie mise en place par Musashi lors de son affrontement le plus célèbre face à un samouraï de talent, Sasaki Kojiro, en 1612 Sur l’île Ganryu (île Funa).
Au cours de la première décennie du 17ème siècle, un maître de sabre nommé Sasaki Kojiro faisait route vers Kyushu, la plus méridionale des grandes îles de l’archipel nippon, où il fonda son dojo dans la ville portuaire de Kokura, avec le consentement des seigneurs Hosokawa des environs. Il avait peaufiné son art en s’entraînant depuis son plus jeune âge et avait, au fil des ans, acquis une telle virtuosité, une telle rapidité, qu’il semblait invincible. Seules les meilleures lames avec lesquelles il avait croisé le fer avaient, peut-être, dans la seconde précédant leur défaite, pu se faire une vague idée de la manière dont son épée, à la manière d’une hirondelle s’adonnant à de gracieuses acrobaties, semblait d’abord pourfendre l’air vers le sol pour, en un éclair, remonter sèchement et assurer la victoire au samouraï. Kojiro allait vite devenir un maître de renom. Il exerçait une sorte de fascination sur un grand nombre de samouraïs du clan Hosokawa qui voyait en lui un grand tacticien du maniement du sabre ainsi qu’un combattant hors-pair, puisqu’il n’avait jamais connu la défaite. Qui plus est, la lignée de combattants dont il était issu était irréprochable.
De surcroît la lame que Kojiro éprouvait lors de ces affrontements n’avait rien à envier à son propriétaire en termes de notoriété. L’épée de son choix – qu’il portait dans le dos – était effectivement une épée plus longue que de coutume, polie par un célèbre forgeron de Bizen aux alentours de l’an 1334.
Nombreuses étaient les lames qui, forgées en cette période sombre de l’histoire du Japon, avait été raccourcies afin de satisfaire aux critères des périodes ultérieures. Mais cette épée faisait exception et avait conservé sa lame rectiligne et sa longueur d’origine du fait de l’exceptionnel talent du forgeron et de la qualité de l’acier employé par l’artisan : l’arme était d’une étonnante beauté et sa lame éprouvée à maintes reprises, n’en restait pas moins intacte et acérée. Kojiro vouait une grande fierté à son endroit et l’avait surnommée la « perche à sécher », peut-être parce que sa longueur n’était pas sans évoquer les longues tiges de bambou utilisées pour sécher le linge. Cette exceptionnelle longueur explique en partie pourquoi les adversaires du samouraï étaient souvent dans l’incapacité de l’approcher et de lui délivrer un coup avec un sabre comparativement plus court.

Il n’était pas rare à cette époque d’organiser des affrontements entre hommes d’épée de renom afin qu’ils prouvent leur capacité au maniement du sabre aux seigneurs locaux, à des disciples potentiels ou, plus prosaïquement, pour satisfaire leur propre amour-propre.
Une telle rencontre fut organisée pour Kojiro le 13 avril 1612 sur l’île Funa, une île posée sur les eaux tumultueuses du détroit de Kannom, dans les environs de Kokura. Son adversaire, un certain, Miyamoto Musashi était tout comme lui, réputé invaincu, mais personne n’était en mesure de lui attribuer un style ou une lignée, on le disait négligé et même imprévisible. Ces explorations encourageantes étaient l’objet de rumeurs contradictoires. Néanmoins, ce duel enthousiasmait Kojiro qui y voyait un excellent moyen d’asseoir sa réputation à Kokura et de s’ouvrir la voie vers une possible nomination à un poste clé au sein du clan Hosokawa.
Le grand jour, Kojiro embarqua à Kokura et se fit conduire sur l’île Funa. Il avait anticipé et était largement en avance sur l’heure convenue. Son adversaire, lui, était en retard, chose qui n’est sûrement pas surprenante étant donné qu’il venait du nord-est du Shimonoseki et que son périple était contrarié par des courants violents et changeants. Kojiro, en attendant, pensait à son épée unique et son maniement : il se demandait à quoi allait ressembler la lame de son adversaire. Ce Musashi, disait-on, une espèce de nomade sans le sou. Cela signifie-t-il pour autant qu’il ne possédait pas une arme de qualité ? Personne dans l’entourage de Kojiro n’en avait la moindre idée. Mais il faut bien reconnaître qu’étant données les légendes mystiques se rapportant à la « perche à sécher », l’histoire de l’arme, la virtuosité de son propriétaire actuel, personne ne s’en souciait vraiment.
Cependant nous sommes en droit de supposer que Kojiro s’est interrogé à ce sujet vu qu’il savait bien que l’âme d’un guerrier est intimement liée à l’arme qu’il porte sur lui.

Au terme d’une longue attente qui éprouva la patience de Kojiro, (il est à noter ici, que cela était une des stratégies de Musashi, que de faire attendre l’adversaire, afin que celui-ci perde patience au fil du temps), l’embarcation de Musashi pointa enfin l’horizon. Pendant qu’elle s’approchait et que celui-ci sautait par-dessus bord, dans les hauts-fonds, Kojiro plissait les yeux pour, en dépit du reflet des rayons du soleil sur la surface de l’eau, distinguer et apprécier son adversaire et la lame qu’il s’était choisie (une autre des stratégies de Musashi, faire en sorte que le soleil soit dans son dos et que son adversaire l’ait en plein dans les yeux). A la vue du sabre de bois de 1,20 m que Musashi avait fraîchement taillé dans une rame, Kojiro ne put que se demander à quel genre d’homme il pouvait bien avoir à faire. (La troisième stratégie employée ce jour-là par Musashi, était vraiment très fine. En effet, un jour où il faisait aiguiser sa lame par un maître d’armes réputé, il avait aperçu le sabre de Kojiro et remarqué la longueur inhabituelle de la lame de ce katana. Ayant demandé à qui appartenait cette arme, il décida de tailler dans la rame en bois du bateau qui l’amenait sur son lieu de duel, un sabre de bois de la même longueur que le sabre de Kojir. Cela déstabilisa complètement son adversaire, qui avait l’habitude de combattre contre des katanas de taille normale et pût ainsi déjouer la tactique de son adversaire et éviter ainsi sa botte mortelle. Ajoutons qu’une fois après avoir sauté dans l’eau, il laissa une partie de son sabre en bois trainer dans l’eau, cachant ainsi la longueur réelle du sabre à son adversaire.)

NDR : tous ces changements apportés par Musashi pour élaborer une stratégie visant à déstabiliser son adversaire et gagner le combat, ne sont pas sans rappeler le combat de Bruce Lee contre Chuck Norris dans « La Fureur». Lorsqu’il prend conscience qu’en utilisant sa boxe traditionnelle contre le champion de karaté, il se retrouve au sol après avoir reçu un coup de pied retourné au visage, Bruce se relève, époussète son pantalon et commence à sautiller (là, on nous montre un petit chat qui joue avec sa patte, clin d’œil pour montrer que Bruce s’amuse avec son adversaire et utilise sa méthode pas du tout académique. (Déstabilisation de l’adversaire qui perd ses repères, comme Musashi avec la longueur de son sabre en bois.)

Encore un parallèle !
Comme Bruce Lee qui laissa une trace avec les ouvrages qu’il écrivit sur sa méthode, Musashi rédigea les cinq chapitres qui composent « le Livre des cinq roues » en conformité avec l’image des cinq roues du titre, elles-mêmes inspirées de la pagode à cinq niveaux, ou stupa. Traditionnellement, la structure du stupa symbolise la véritable manifestation des réalités phénoménales de l’univers, du plus essentiel au plus impalpable : la terre, l’eau, le feu, le vent et le vide. Dans le premier chapitre, le Livre de la terre, Musashi livre un résumé succinct du contenu de chaque rouleau. Le Livre de la terre, écrit- il, est une présentation générale de la voie des arts martiaux de son propre style. Le Livre de l’eau traite des principes inhérents à l’escrime en particulier. Dans le Livre du feu, l’auteur se penche sur la signification des arts martiaux à partir de son expérience qui épouse un demi-siècle et met en exergue l’absolue nécessité de connaître les avantages propres à chaque arme. Comparant l’artiste martial à un maître charpentier, il traite de la valeur relative de l’artiste : tout comme lui, fort de sa participation à quelques soixante duels et six grandes batailles, l’artiste martial doit être pragmatique et impartial : toute préférence ou tout rejet prononcé à l’endroit d’une arme en particulier est une faute, à l’instar de tout parti pris. D’une part, l’auteur exhorte ses élèves à manier l’arme qui convient le mieux à leurs aptitudes personnelles et, d’autre part au maniement simultané de deux sabres. Ici aussi, on pourrait être porté à penser que Bruce Lee connaissait la vie de Miyamoto Musashi ou encore (ce qui est le plus probable), qu’en tant que vrai artiste martial et combattant, il était arrivé à comprendre les préceptes du vrai guerrier.

Bruce Lee dans Le Jeu de la mort, réalisateur Robert Clouse
version inachevée de 1972

On peut relever une analogie entre le « Livre des cinq roues » de Musashi avec le film inachevé de Bruce Lee « Le Jeu de la mort » : en effet on retrouve la pagode avec les cinq niveaux. Quand Musashi parle d’escrime et de savoir combattre avec différentes armes, on retrouve cela : dans un des niveaux de la pagode, Bruce Lee affronte un combattant, avec des nunchakus puis à un autre niveau un maître d’hapkido, avec une grande tige torsadée ressemblant dans la technique à la canne française. À ce propos, je tiens à faire remarquer que je n’ai vu cette technique que deux fois dans ma vie : une fois dans le film de Bruce Lee et une autre fois lorsque j’ai appris cette technique avec mon professeur de kung-fu, Lee Ho Fat, quelques années avant la sortie du film. (Il est à noter qu’avec mon professeur, la tige était en bambou.)

L’esprit quotidien
Musashi n’avait que mépris pour les techniques spectaculaires et autres «enseignements cachés» mis en avant par d’autres écoles. Non seulement ces artifices transformaient le sabre, les armes en général mais aussi les instructeurs en biens de consommation, mais ils leurraient les disciples. Musashi abordait la voie martiale tout comme les adeptes de zen abordaient leur pratique : dans la plus pure simplicité.

NDR : Dans le Livre de l’eau, il écrit : «Sur le champ de bataille comme en dehors, l’esprit reste le même ». Là aussi, la similitude avec notre jeune Chinois bondissant est flagrante. En effet, Bruce Lee avait la même façon d’appréhender les arts traditionnels de son temps, ce qui lui valut bien des déboires avec la communauté chinoise installée aux États-Unis.

Outre ces similitudes entre ces deux hommes hors du commun, il faut maintenant faire le parallèle entre ce qui est le «fer de lance» d’un samouraï et fait son efficacité au combat, et un précepte que Bruce avait intégré dans sa façon de pratiquer, et qu’avec un œil aiguisé ou d’expert, on peut remarquer dans trois de ses films.
Pour un samouraï, le katana symbolise son âme. Il est intéressant de noter l’anecdote suivante : un jour que Miyamoto Musashi passait devant l’atelier d’un des plus grands maîtres forgerons de l’époque, il entra dans la boutique, s’agenouilla devant le maître et, en lui tendant son sabre, lui demanda : « pouvez-vous aiguiser la lame ? ». À cela le maître forgeron, tout en examinant le sabre, lui répondit : «Je suis obligé de décliner votre demande». Musashi sortit, l’air dépité, fit quelques pas, leva la tête et lut l’inscription figurant au-dessus de la porte de l’atelier : «Ici on polit les âmes».
Musashi entra de nouveau dans l’atelier et cette fois-ci en s’agenouillant, posa délicatement son katana devant le maître forgeron et lui demanda : «Pouvez-vous polir mon âme s’il vous plaît». En effet le katana représentant l’âme du samouraï, sa lame en disait long sur son propriétaire. Lorsque le guerrier est encore jeune et fougueux, la lame de son katana est très acérée, à l’image de son esprit et de sa conception du combat. Il était de coutume, pour mener rapidement à terme un duel, d’avoir une lame très aiguisée, afin qu’un seul coup soit suffisant pour mettre un terme définitif à l’affrontement. Si l’on replace la lame aiguisée en termes d’efficacité sur un coup donné, on peut le remplacer, par le précepte que mettait Bruce Lee dans son coup de poing, en kung fu. Sa technique du «coup de poing de fleur» est ce qui remplace, pour un combattant à mains nues, la lame aiguisée du samouraï, puisque c’est cet apport dans la technique qui rend le coup de poing fulgurant, et représente l’efficacité du tranchant de la lame chez les samouraïs.
Le but, lorsque l’on donne ce genre de coup de poing, est de mettre en exergue certains principes du qi gong martial, afin que l’onde de choc produite par le coup soit dévastatrice et définitive pour l’adversaire, ce qui n’est pas sans rappeler l’efficacité d’un coup donné avec une lame bien aiguisée. J’ai eu la chance de découvrir ses préceptes et de les mettre en pratique et je peux vous assurer que l’efficacité du coup de poing est redoutable. Pour les personnes curieuses d’en savoir plus, voici un lien vous démontrera les effets dévastateurs du déplacement de l’énergie sur ce coup : vous verrez d’abord le « coup de poing normal » et ensuite un ralenti du « coup de poing de Bruce Lee » que l’on voit parfaitement dans « La fureur de vaincre » ). Ce coup de poing illustre plusieurs principes du qi gong martial qui forgent l’arme (le coup de poing), on pourrait même dire : ils l’aiguisent.
«On affûte son coup de poing», comme se plaisait à me le répéter un expert en qi gong martial, qui m’enseigna certains « secrets du kung fu », dans les années 90. Vous pouvez voir ici l’un des préceptes mis en place dans ce coup si particulier.

Toutes les stratégies de Musashi ou les préceptes du qi gong martial appliqués dans son coup de poing ont le même but : obtenir une efficacité redoutable. Ceux qui les appliquent deviennent des personnages hors normes.
Vous reverrez les films de Bruce avec un autre regard. On a tendance à s’arrêter sur l’aspect « folklore » qu’il se plaisait à mettre en avant, mais sans nul doute Bruce Lee était un « vrai guerrier et un vrai samouraï des temps modernes » et sans conteste « le samouraï du kung fu ».

*NDR : Lien pour les pratiquants de tous styles, méthodes etc…. qui aimeraient accéder à l’enseignement de ces préceptes en qigong martial : ici

Les photos de Bruce Lee ont été aimablement fournies par le Musée du Quai Branly à l’occasion de l’exposition Ultime Combat en 2021.

Ecrit par JACQUET Francis

Francis Jacquet (Ah Long de son nom chinois) a débuté les arts martiaux avec son père à l'âge de 8 ans. En 1972 il rencontre Li Ho Fat qui deviendra son maitre et lui apprendra différentes méthodes de quan fa (boxe chinoise) dont une méthode de combat de la communauté Hakka dont il fait partie et le tang lang quan (boxe de la mante religieuse).

Francis deviendra très vite expert de cette technique redoutable et travaillera de concert le panel des armes traditionnelles chinoises que contient le wu shu, il excellera particulièrement dans les armes de jet, le nunchaku et l'épée.

Durant les années 75 et 76, il accompagnera avec son maître l'équipe volante du viet vo dao dans différentes villes de la France pour aider à développer cet art avec les maîtres N'Guyen Dao, Do long , Phi Long etc....Durant 8 ans il apprendra les méthodes nghia long et thanh long auprès de maîtres fondateurs du mouvement fédéral de l'époque. Il participera aussi à la grande démonstration de 1975 à Paris devant les 3000 spectateurs et le Ministre de la jeunesse et des sports, qui avait pour but de faire reconnaitre officiellement la fédération de VVD. Il peaufine son parcours martial et étudie plusieurs styles, tels : jeet kune do, choi lee fut, Shaolin kempo, karaté...etc... afin de mieux connaitre les arts martiaux et se réaliser.

Très proche de la communauté chinoise dans les années 90, il enseignera à la congrégation chinoise de Tamatave à Madagascar et apprendra la langue chinoise avec le consul de Chine en place. En 2002 il obtiendra sa licence universitaire de langue chinoise. Durant des années il côtoiera des maitres de tai ji quan ou de quan shu et apprendra l'acupressure avec le docteur HE. C'est tout naturellement que ses recherches dans les arts traditionnels chinois l'orientent vers la pratique du qi gong martial avec la "chemise de fer" et à cette même époque il élabore sa propre technique qui s'enrichit au fil du temps des aspects internes et énergétiques pour devenir la méthode complète connue désormais sous le nom de "ming dao quan" (boxe de la voie de la lumière).

Il rallie le mouvement fédéral en 2008 et depuis est titulaire du DEJEPS (diplôme d'Etat) en qigong, 4ème duan qigong, 4ème duan wushu et 3ème duan tai ji quan avec les diplômes fédéraux correspondant.

Les secrets du Kung Fu apprendre le kung fu wing chun boxe mante religieuse (kungfureunion.fr)

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