Yimag

Filtrer les articles par
- Sélectionnez une thématique
- Sélectionnez une discipline
- Sélectionnez un auteur
- Sélectionnez un niveau de pratique
Retour aux articles

La symbolique du nombre cinq

Par SAGOT Jean-Jacques - 17 Avril 2023
Thématiques : Civilisation chinoise
Discipline : Qigong
Niveaux de pratique : Intermédiaire

Le choix de cinq animaux parmi la pléiade d’animaux qui constellent le vaste ensemble mythologique de la civilisation chinoise n’est pas le fruit d’un hasard, ni d’une juxtaposition aléatoire d’animaux préférentiels. Le choix du nombre Cinq est même préalable à la désignation des animaux. Il s’insère dans un cadre bien plus global où symbolisme, géométrie, vision du monde se répondent depuis des temps antérieurs à l’écriture. Ce cadre structure particulièrement la pensée chinoise, non seulement dans son architecture confucéenne, mais dans la plupart de ses courants de pensée, même dans le taoïsme qui est souvent perçu plutôt comme «anarchisant». La lecture du chapitre sur les Nombres dans l’ouvrage fondamental de Marcel Granet1 est essentielle pour avoir une représentation de la conception des nombres dans la pensée chinoise, bien différente de la nôtre. Les nombres, en Occident, cherchent à classer, séparer, alors qu’en Chine (ancienne), ils servent à regrouper, arranger, harmoniser. «Les Chinois ont donné le nom de Nombres à des signes cycliques conçus pour désigner non pas des rangs mais des sites et capables d’évoquer des arrangements plutôt que des totaux.»2
Alors considérons le nombre Cinq sous cet aspect. Dans l’ensemble des neuf chiffres de l’«arrangement» décimal, le Cinq représente lui-même le centre. «Placé au milieu des neuf premiers nombres, 5 s’impose comme le symbole du centre… les signes voisins, échappant à leur formation linéaire, se répartissent l’Espace et revêtent à leur tour des attributions spatiales.»3
De l’histoire de l’Ancienne Chine, on connaît le Hong fan comme le plus vieil essai de philosophie.4 En prologue à ce traité, on trouve ce récit :
«C’est de façon mystérieuse que le Ciel fixe aux hommes d’ici-bas les domaines où les uns et les autres vivront en harmonie ! Et moi, je ne sais rien de l’ordre qui régit les rapports réguliers entre les êtres – Jadis, Gun fit obstacle aux Grandes Eaux et jeta le trouble dans les cinq éléments ; le souverain, frémissant de colère, ne lui ayant pas délivré les neuf sections du Hong fan, les rapports réguliers entre les êtres se pervertirent… (Après la mort de Gun), le Ciel délivra à Yu les neuf sections du Hong fan et les rapports réguliers des êtres retrouvèrent leur ordre5
On voit dans ce récit l’importance du cinq et du neuf.
Yu le Grand, cité ici, avait ainsi «quadrillé» l’espace en neuf sections :

On notera l’équilibre général de cette répartition, de cet ordonnancement, la somme de chaque ligne (verticale, horizontale et diagonale) faisant toujours quinze. Et, c’est le nombre Cinq, au milieu, qui assure équilibre et harmonie. Si on étudie un peu plus ce diagramme, on remarque qu’en reliant les chiffres pairs (considérés comme yin), on forme un carré stable, reposant sur un côté, alors qu’en reliant les chiffres impairs (considérés comme yang) on forme un carré reposant sur une pointe, ce qu’on appelle un carré « animé ». Aux chiffres pairs la stabilité, aux chiffres impairs la dynamique. On remarque aussi que la somme totale des neuf chiffres est de 45, ce qui correspond au produit de 9 par 5.
Enfin, si on remplace le 5 par le symbole du yin-yang et les huit nombres périphériques par les trigrammes du Yi Jing, on a l’équivalent circulaire «céleste» du diagramme carré «terrestre».
Évidemment, le palais impérial, le Ming tang, avait exactement cette architecture, comme l’Empire lui-même et l’Empereur siégeant au centre de huit salles périphériques avait une légitimité «céleste»6 .

8 trigrammes

On voit donc que le nombre Cinq est l’équivalent du couple yin-yang, en ce sens que, placé au milieu de toutes choses (terrestres), il n’est en rien statique, mais au contraire le « moteur central » autour duquel tout est activé.
Si on regarde maintenant l’«intérieur» du nombre Cinq, on voit que sa structure est également équilibrée et harmonieuse. Il faut, pour cela, sortir de son écriture en chiffre arabe, et considérer sa représentation géométrique, en la visualisant, par exemple, comme le Cinq d’une face de dé.

On distingue alors un point central et quatre points périphériques. Ils n’ont donc pas la même «valeur» dans l’«arrangement» (pour reprendre le terme de Marcel Granet). Le point central est au milieu comme le Cinq était au milieu des neuf chiffres. Les quatre autres, sont «autour» de lui, ils en dépendent d’une certaine façon, et le «nourrissent» d’une autre façon.
Cette structure, un centre et quatre directions, est celle qui s’impose pour avoir une représentation ordonnée de l’espace et du temps. Elle sert en outre de rapport entre les différents domaines qui y trouvent ordre et harmonie. Ainsi peuvent s’établir des correspondances entre les points cardinaux, les saisons, les heures du jour, les phases de la lune, les éléments, les couleurs, les saveurs7, les caractères, le corps humain, etc. jusqu’aux techniques martiales et même aux styles de taijiquan8.
C’est à partir de ce Cinq (quatre + un, ou plutôt un et quatre) que l’on élabore des appariements entre éléments, saisons, couleurs dans le Jeu des Cinq Animaux.
Espace et temps s’organisent ainsi :
– Nord – Hiver – Minuit – Nouvelle lune,
– Est – Printemps – Lever du soleil – premier quartier de lune,
– Sud – Eté – Midi – Pleine lune,
– Ouest – Automne – Coucher du soleil – dernier quartier de lune.
Le cinquième pôle est évidemment central et constitue l’axe de rotation. On note également que la structure terrestre est fixe tandis que la structure céleste est mobile et doit donc être envisagée dans ses dynamiques (mouvement du soleil diurne, de la lune selon le mois lunaire, des saisons).
Le symbolisme du yin-yang s’inscrit dans ce cycle en quatre phases, lors de son dédoublement initial : petit yang, grand yang, petit yin, grand yin (le grand yin correspondant au Nord et à l’hiver, le petit yang à l’Est et au printemps, le grand yang au Sud et à l’été, le petit yin à l’Ouest et à l’automne) .

Les cinq éléments sont régis par ce même agencement : «L’ordre des Éléments, quand ils se succèdent les uns aux autres, n’est point absolument arbitraire. Il y a quelque cohérence dans les métaphores des Chinois qui disent : l’Eau produit le Bois (en lui donnant sa sève) ; le Bois produit le Feu (qu’il alimente); le Feu produit le Métal (qu’il dégage du minerai) ; le Métal produit l’Eau (puisqu’il peut se liquéfier).»10 . C’est ce qui est appelé le cycle de l’engendrement. On y voit les fondamentaux des principes alchimiques : tout se transforme, et tout se transforme en disparaissant pour engendrer ; le métal, dernier élément doit revenir à la liquéfaction (principe du mercure alchimique). On remarque aussi que l’élément Terre n’est même pas cité. La Terre est l’élément central qui est le creuset de tous les autres.
Il y a bien entendu de nombreuses variantes du cycle de l’engendrement et du cycle de la destruction. La médecine traditionnelle s’appuie sur des schémas eux aussi variables pour théoriser les liens entre les viscères, les humeurs, et toute la pharmacopée. Les plus usitées délaissent le schéma originel du Cinq en tant que «un + quatre» pour envisager le Cinq dans un pentagramme ou une étoile à cinq branches11 . Ces versions du Cinq en pentagramme n’excluent pas celle, originelle, que nous avons décrite. Elles donnent un autre reflet, un autre angle de vue. Le problème est que si on en reste à celles-ci, on peut faire des approximations ou des confusions. Par exemple, ne comprendre la Terre que comme un élément égal aux autres évacue sa symbolique première et peut engendrer des erreurs tant de conception théorique que de mise en application lors de la pratique physique. Ou bien vouloir faire rentrer les quatre saisons dans une étoile à cinq branches pousse à imaginer une cinquième saison que l’on va coincer entre deux autres pour un déséquilibre patent et une méprise malencontreuse12.

Les Cinq Éléments et leurs correspondances :

On considère la Terre à la fois comme milieu (le point central du dé), axe central du microcosme, et comme totalité (la face entière du dé), intégralité de la manifestation. Elle représente aussi, symboliquement, la matière ; celle dont nous procédons et dont nous sommes constitués ; équivalente à celle qui constitue l’intégralité du règne animal (d’où la légitimation du Jeu des Animaux), mais aussi des règnes végétal et minéral.
On relie l’Eau à l’hiver, et donc au Nord, à minuit, car l’Eau est l’origine de la vie. Les pluies d’hiver arrosent la Terre pour «animer» la graine qui y est enfouie.
On relie le Bois au printemps, et donc à l’Est, à l’aube, car la graine se soulève lors de la germination et la tige va pousser, grâce à la lumière naissante.
On relie le Feu à l’été, et donc au Sud, au midi car c’est la pleine lumière, la pleine chaleur qui permettent l’éclat de la vie dans tout son accomplissement. La plante est mûre et donne ses fruits.
Enfin, on relie le Métal à l’automne, et donc à l’Ouest, au couchant : Le minerai originel tiré de la Terre, lavé pour être trié, brûlé au feu de bois pour être épuré, engendre le métal en fin de cycle. L’outil de métal va creuser la Terre dans laquelle sera enfouie une graine en vue du prochain cycle.
De la même façon, les appariements avec les couleurs relèvent conjointement de l’observation et du symbolisme :
Le Noir, couleur de l’obscurité, de la nuit, est associée à l’hiver et à l’eau. C’est dans les ténèbres que se forme la source qui ondule sous la Terre et nourrit les racines.
Le symbolisme primitif fait du Blanc la couleur de la mort et du deuil13, du retour à la pureté afin de permettre la transformation, la transfiguration. C’est en ce sens qu’elle est la couleur de la fin d’un cycle et la promesse d’un nouveau. Elle correspond donc à l’automne et au métal. L’animal associé, la grue, sera de couleur blanche.
Le Vert est la couleur végétale, de l’éveil à la vie, la couleur du printemps et du jeune bois qui s’élève vers le ciel.
Le Rouge est la couleur de la vie à son apogée, du sang, de la chaleur, de l’immortalité14 . Elle correspond ainsi à l’été et au feu.
Quant à la Terre, elle est Jaune. C’est la couleur du centre, celle de l’Empereur qui se trouve au centre de l’univers, comme le soleil est au centre du ciel15 .
Noir, vert, rouge, blanc, jaune, on a les cinq couleurs primordiales. Et le bleu ? Le bleu n’est pas une couleur «terrestre», elle n’appartient pas à l’ «arrangement» des couleurs du monde, car c’est la couleur du Ciel16 .

Le jeu des 5 animaux - Livre de Jean-Jacques Sagot Le jeu des 5 animaux par Jean-Jacques Sagot

Extrait de l’ouvrage de Jean-Jacques Sagot :
Qi gong : le Jeu des Cinq Animaux
Un nouvel apprentissage, la méthode de la Grande Ourse
Editions Maïa 2023

1Marcel Granet, La pensée chinoise, Albin Michel, réédition, 1968.
2Ibid. p. 135.
3Ibid. p. 138.
4La tradition date son origine du deuxième millénaire avant notre ère, mais les historiens modernes l’ont ramenée au VIè siècle avant notre ère.
5Traduction in Encyclopedia Universalis.
6La Chine, elle-même, se situe au milieu du monde, comme son nom l’indique : 中国, zhongguo, l’Empire du Milieu.
7Voir l’Eloge de la fadeur, François Jullien, Éditions Philippe Picquier, 1991.
8Les techniques de base du taijiquan sont au nombre de quatre actives (peng, lü, ji, an : parer, tirer en arrière, pousser, presser) et une centrale (zhong ding : garder le centre). Et quand, à une époque récente (aux débuts de la République Populaire de Chine), on demanda à Gu Liuxin d’établir un répertoire officiel des styles de taijiquan, il en choisit cinq (Chen, Yang, Wu Hao, Sun et Wu).
9Yin Yang, la dynamique du monde, Cyrille J-D Javary, Albin Michel, 2018.
10La pensée chinoise op.cit. p. 206.
11Voir le chapitre sur Compléments au symbolisme.
12Malheureusement, des versions bien plus fantaisistes encore circulent dans des ouvrages ou des sites internet.
13C’est encore la couleur du deuil dans tout l’Orient.
14C’est la couleur obtenue du cinabre, le sulfure de mercure, selon l’alchimie chinoise.
15Les tudi, dieux protecteurs de la terre auxquels se réfèrent les administrateurs impériaux, se partagent le sol en cinq parties, la verte à l’Est, la rouge au Sud, la blanche à l’Ouest, le noire au Nord et la jaune au Centre. Henri Maspero, la Chine antique, Paris, PUF, 1985.
Michel Pastoureau Bleu, histoire d’une couleur, Le Seuil, 2000.

Ecrit par SAGOT Jean-Jacques

Jean-Jacques Sagot enseigne le mouvement depuis cinquante ans.
Professeur d’éducation physique de 1972 jusqu’à sa retraite en 2011, il a élaboré des didactiques pour les arts martiaux (lutte, boxe, judo) dans le cadre scolaire dès les années 70 puis introduit le taijiquan en 1989.
Il fonde une option EPS taijiquan en Lycée en 1991 (option officielle au baccalauréat de 1991 à 2011, unique à ce jour dans l’Education Nationale), fonde et anime une école d’arts martiaux internes pour adolescents (UNSS 1999-2011)
Il intervient dans de nombreux cercles : IUFM, MAFPEN, UFOLEP, écoles primaires, écoles maternelles, écoles de soins infirmiers, milieu hospitalier.
Son enseignement a été étudié par l’Université de Bordeaux II (2008 /2009), les éditions Autrement lui ont consacré un chapitre dans « Quand l’école innove » (2009) et il a fait l’objet de sujets télévisés (TF1, Canal+)
Il collabore régulièrement avec les instances qui font appel à lui (dernièrement l’Université de Toulouse) y compris dans d’autres contextes (aikido, boxe anglaise).

Il découvre le taijiquan en Chine en 1986, commence son apprentissage au sein de l’association Le Méridien, à Périgueux, où il enseigne de 1988 à 1998. Il fonde l’association La Grande Ourse en 1998. Invité dans de nombreuses associations amies, il collabore avec Catherine Despeux, Pierre Portocarrero, Eric Caulier, Georges Favraud, Claudy Jeanmougin… et publie des articles dans les revues spécialisées (Yi magazine, Génération Tao, Taichimag, espace taiji, etc…)
Il effectue de nombreux séjours en Chine (1992 2005 2006 2007 2009 2011 2013 2015), à Taïwan (1995 1999), en Malaisie et à Singapour (1997)
Professeur diplômé de la “ Fédération Internationale de Tai Chi Chuan ” Taïwan 1995
Disciple de Maître Lau Kim Hong (Malaisie/Singapour) initiation en 1997
Professeur diplômé “ Zhong Ding Traditional Chinese Martial Arts Association ” Singapour 1997
Représentant et collaborateur de la Jin Wu (Chin Woo Association) de Shanghai depuis 2005
Disciple et ami de Maître Chen Guofu (Premier Conseiller de la Chin Woo pour le taiji de style Wu et de style Sun, Shanghai)

A la FTCCG (ad FFAEMC) de 1996 à 2002, il est titulaire du n°003 des BP AMCI en 1999
Alors représentant du style Cheng Man Ch'ing au Collège technique, il préside la Commission Formation de 1999 à 2002 et fonde le Comité d’Aquitaine en 1998 dont il est le premier président.
Réintégrant la FAEMC en 2016, il représente le style Sun au sein du Collège technique des arts martiaux chinois internes.

Styles enseignés
Style Sun (traditionnel selon Sun Jianyun) Style Wu Hao (traditionnel selon Hao Shaoru)
Style Yang version Cheng Man Ch’ing (Taïwan, Malaisie, USA)
Style Yang (Fu Zhongwen, Shanghai) (Zhou Minde, Shanghai)
Epées, épée double, sabre, canne, éventail, bâton… Techniques à 2 (Tuishous, dalu, sanshous…)

Ouvrages:
"Les Treize Traités de Maître Cheng sur le Tai Chi Chuan " Le Courrier du Livre, traduction 1998.
“ La Nouvelle Méthode d’apprentissage personnel du taiji quan de Maître Zheng” Version française Le Courrier du Livre 2001.
« Taijiquan : la Voie du style Wu » Trésors de Arts Martiaux, Le Courrier du Livre 2018
« Promenade curieuse à travers des forêts de symboles ». Le Livre en Papier 2020
« Le jeu des Cinq Animaux, une nouvelle méthode » essai sur le qigong Editions Maïa

A paraître en 2023:
« Taijiquan : la Voie du style Sun » Le Courrier du Livre

Retour aux articles