Chengzi taichi chuan : le taichi « Cheng Man Ching »
Thématiques : Arts martiaux
Discipline : Taichi chuan
Niveaux de pratique :
Le style du Me Cheng Man-Ching est aujourd’hui mondialement connu et fait partie des styles les plus représentés dans le monde… Pourtant, il semble qu’il persiste encore quelques incompréhensions à propos de ce style, trop souvent considéré comme un style simplifié, voire simpliste, par certains pratiquants d’autres styles. Mon professeur, Hérald Loygue, héritier de la 3ème génération du style Cheng Man Ching, m’a donc demandé de vous présenter succinctement ce style.
Introduction : Cheng Man Ching : L’archétype du Maître.
De nombreux écrits évoquent la biographie du Me Cheng Man Ching, ainsi que les caractéristiques techniques du style qu’il a créé… Nous ne reprendrons donc ici que quelques grandes étapes importantes pour notre propos, car si l’homme était bien évidemment admirable, c’est plus encore son œuvre qui marquera l’histoire.
Quelques repères :
Me Cheng Man Ching est né en 1901. Son père meurt dans son jeune âge et il sera élevé par sa mère et sa tante qui était une artiste peintre reconnue… Il reçoit donc très tôt un enseignement culturel et artistique important. De santé fragile, il a un grave accident très jeune, où il manque de perdre la vie, et contracte ensuite la tuberculose… Il fréquente donc régulièrement les médecins traditionnels. C’est essentiellement pour se maintenir en bonne santé qu’il débute le taïchi chuan, assez tardivement, ce qui selon lui, lui permettra de se guérir de la tuberculose pulmonaire.
Issu d’une famille de lettrés, c’est tout naturellement qu’il sera initié à la calligraphie, à la peinture, à la poésie et à la médecine traditionnelle. Il devient rapidement très doué dans la pratique de ces différents arts et attiré par la médecine, entreprend des études pour devenir médecin traditionnel.
Il débute le taïchi chuan auprès du petit-fils de Yang Luchan, le Me Yang Cheng Fu.
Devenu un médecin renommé, il parvient à guérir d’une longue maladie la femme de son maître et devient de ce fait très proche de celui-ci, qui en signe de gratitude, lui donne accès à l’enseignement “complet” du taïchi chuan qu’il a hérité de son grand-père. Il propose également au Me Cheng de rédiger la préface de son livre, l’un des tout premiers sur le taïchi chuan (1934). Certains pensent même qu’en tant que fin lettré, le Me Cheng aurait joué le rôle de “prête-plume” dans la rédaction de celui-ci.
Dans le cadre de l’enseignement qu’il reçoit de la famille Yang, il rencontre Chang Ching Ling, son aîné dans la pratique, lui-même élève de Yang Cheng Fu, mais également de son oncle, Yang Jianhou. Le Me Chang Ching Ling était en outre initié à l’alchimie interne taoïste (neigong) qu’il recevait du Me Zuo Laifeng. Étant lui-même illettré, en échange de l’enseignement de la lecture et de l’écriture, il lui transmet l’enseignement qu’il a reçu.
En résumé :
C’est à partir de son héritage de l’école Yang moderne transmis par Yang Cheng Fu et de celui de l’ancienne école Yang et du travail interne de la tradition taoïste, transmis par Chang Ching Ling, que le Me Cheng a fondé sa propre méthode de taïchi. Cette méthode a également été profondément marquée par sa grande culture et sa maîtrise de la poésie, de la calligraphie, de la peinture, de la médecine, mais aussi et surtout de la philosophie taoïste et confucianiste, dont le Me Cheng était un fervent adepte. Le style “Cheng” est donc dès ses débuts orienté vers un “raffinement” du style originel, et non une simplification de celui-ci.
Les grands principes du style “Cheng” : Ne pas confondre “simplicité” avec “facilité”.
A la fin des années 30, le taïchi chuan n’était encore que très peu pratiqué et son enseignement traditionnellement gardé secret à l’intérieur des familles. Conscient du grand potentiel, pour la santé mais également pour l’esprit (pour autant que l’on puisse les séparer !), que représente cette pratique pour ses compatriotes, Me Cheng commence à réfléchir à un moyen de diffuser et à rendre accessible toute la richesse de cette pratique qu’il considère comme un trésor pour l’humanité…
C’est tout ce qui motivera sa démarche : offrir au peuple, un art de santé et de longévité, un art de paix et d’éveil à notre humanité.
Rappelons-nous du contexte : 1946 : la 2ème guerre mondiale venait à peine de s’achever et la dictature communiste chinoise commençait à s’installer, avec son déferlement de violence. Alors que la plupart des écoles de taïchi chuan de l’époque mettaient l’accent sur l’aspect martial, le Me Cheng, profondément humaniste, inverse cette tendance, le mettant au second plan pour faire de son taïchi une pratique proche de la méditation et avant tout orientée vers la douceur, la simplicité et le relâchement le plus complet, un peu à l’image de ce que fit le Maître japonais Ueshiba avec l’aïkido dans les années trente. C’est avec 3 ans de retard, alors qu’il doit lui aussi subir la violence et l’exode, fuir son propre pays pour échapper à la mort, qu’il publie sa méthode dans son célèbre ouvrage “les treize traités”, à Taïwan, en 1949.
Cette orientation radicale vers la douceur, la simplicité et le relâchement, associée à la recherche d’un mode de transmission plus ouvert, quels que soient la culture et l’arrière plan philosophique du pratiquant, vont amener le Me Cheng, encouragé par ses aînés dans la pratique, Chen Wei Ming et Chan Ching Ling, à modifier son taïchi chuan : alors que le style qu’il pratiquait comprenait plusieurs formes à mains nues et avec armes (épée, sabre, perche, forme des 108 mouvements, etc…), il ne conservera dans sa méthode, que 3 éléments :
● Une forme en 37 postures :
Cette nouvelle forme condensée à partir de la forme des 108 postures, a été créée dès 1938-39, dans le Hunan, où le Me Cheng était non seulement directeur des arts martiaux de la province du Hunan, mais également instructeur dans un groupe d’entraînement militaire de Chongqing. Cette forme comprend à la fois l’héritage de la famille Yang, mais également les enseignements d’alchimie internes, le neïgong hérité de Zuo Laifeng.
● Un tuishou :
Un seul tuishou codifié est pratiqué. Appelé “positif-négatif”, il renferme les 4 premières portes du taïchi (Peng / Lu / Ji / an). Le tuishou libre est ensuite mis en avant.
● L’épée :
Une forme issue de la forme traditionnelle en 54 mouvements développée par le Me Chen Weïming, que le Me Cheng a adaptée, associée à la pratique du tuijian et du sanjian, l’escrime à deux.
Cette “simplification” visait avant tout à permettre au pratiquant de se concentrer sur l’essentiel : la recherche constante de “la descente du Qi au dantian”, pour laisser “s’ouvrir le coeur-esprit”. Cela nécessitait également une transformation technique corporelle pour favoriser ce travail, cette orientation :
- des postures plus larges et plus hautes, plus naturelles, avec la jambe arrière fléchie,
- le corps toujours vertical, avec des pivots sur les talons, après avoir transféré le poids du corps,
- les hanches de face, avec le rôle essentiel de la taille (yao kua) plaçant les bras, le buste et l’axe du corps dans la même direction.
- Le poignet n’est jamais “cassé” (“main de la jolie dame”) de façon à permettre la circulation du Qi jusqu’au bout des doigts.
- Le relâchement le plus complet est favorisé, la réunification des “5 arcs” se faisant par le relâchement, et l’enracinement se faisant au point Yong quan (1Rein) et non dans les talons…
- etc…
La Forme des 37 postures : Une forme simplifiée ? Au sens noble du terme, oui !
Certes, la forme des 37 postures est donc plus courte que celle des 108 mouvements du style Yang… Elle est aussi plus longue que les 13 postures de base du taïchi chuan !… Si elle est simplifiée, c’est au sens noble du terme : “simple”, “sans pli”, dans le but d’épurer au maximum et d’aller vers la pureté, la spontanéité et le naturel.
Une forme “réduite” ? Assurément, non !
Certes, le Me Cheng avait coutume de démontrer sa forme en vidéo à vitesse assez rapide (environ 7 minutes). Cependant, celle-ci elle est bien souvent pratiquée très lentement, voir avec un arrêt prolongé à chaque posture, ou selon diverses “intentions”. Elle peut aussi, à l’inverse, être pratiquée très rapidement…
Il est donc inexact d’affirmer que le Me Cheng Man Ching a réduit la forme Yang traditionnelle, en une forme simplifiée, édulcorée, plus rapide à pratiquer pour ses étudiants américains pressés, puisqu’il n’a émigré aux USA qu’en 1964, près de 25 ans après avoir créé sa méthode, et 15 ans après l’avoir publiée ! Par ailleurs, la qualité d’un style ne dépend pas de la durée de réalisation de la forme ! ?
Contrairement à ce qui est parfois affirmé, cette nouvelle forme n’a pas été créée non plus pour s’adapter au manque de persévérance des pratiquants… Bien au contraire, puisque la persévérance est au cœur de l’enseignement du style ! La simplification en une forme plus condensée, permet de se concentrer sur l’essentiel des principes du style : le relâchement, la descente du Qi au Dantian, la recherche de la douceur, de la fluidité et du mouvement continu… Ce qui n’empêche pas les pratiquants désireux de pratiquer un enchaînement plus long, de la pratiquer à gauche, puis à droite, ou d’en intégrer les principes dans la forme yang traditionnelle en 108 mouvements.
Le style Cheng : un style à part entière ? Un style martial ? Oui… et non !
Nombre de détracteurs du style “Cheng” arguent que le Maître n’aurait pas reçu l’entièreté de l’enseignement de Chang Ching Ling, ou que le style Cheng ne serait qu’un dérivé hybride du style Yang, duquel on aurait retiré toute substance, martiale notamment.
Mais qu’est-ce que la pureté d’un style lorsque l’on sait que chaque maître, chaque génération y apporte sa propre expérience ? Le Style originel ne comportait que 13 postures…
Où situer la pureté ? dans la forme ? dans le travail à deux ? ou dans les principes ? Le style le plus pur est-il le plus ancien ou le plus récent ?
Faut-il alors rechercher la pureté dans le style Chen, le Yang, le Sun, Wu, etc…?
La plupart des maîtres n’ont pas hésité à créer diverses formes afin de s’adapter à leurs élèves (notamment le Me Wang Yen Nien qui a créé une forme d’éventail, qui n’existait pas auparavant dans son style).
La méthode Cheng représente un affinage, une condensation du style Yang et de l’alchimie interne taoïste pour en faire une pratique épurée, allant à l’essentiel, presque méditative. C’est en cela que l’on peut la considérer comme un style à part entière…
L’aspect martial, même s’il n’est que peu mis en avant dans ce style, reste l’une de ses composantes “standard”, comme dans n’importe quel style d’ailleurs. Et s’il est souvent pratiqué par nombre de pratiquants en mettant de côté cet aspect, le Me Cheng, lui-même, insistait sur le fait que “sans chuan, il n’y a pas de Taïchi Chuan”… Il a d’ailleurs lui-même enseigné le Taïchi Chuan dans des groupes militaires, en 1933 et en 1939 ! L’aspect martial reste donc bien présent dans ce style, même si ce n’est pas sa finalité première.
Le style “Cheng” aujourd’hui : une racine, plusieurs branches
Le Me Cheng Man Ching a donc enseigné en Chine, à Taïwan et aux Etats-Unis.
Il a adapté son enseignement à la culture de ceux qui le recevaient… Cette racine a donné plusieurs branches, plus ou moins modifiées par les différents maîtres qui se sont succédés, en reprenant parfois la forme des 108 postures par exemple, ou en créant d’autres formes à partir de la forme des 37 postures, en intégrant un travail et des principes particuliers, ce qui fait que le style “Cheng” a aujourd’hui de nombreuses branches parfois relativement différentes…
La branche américaine, dont les représentants les plus connus sont les élèves directs du Me Cheng Man Ching : Ken Van Sickle, Wolfe Lowenthal, Maggie Newman, Abraham Liu, Robert Smith, Benjamin Pang Lo, William C. Chen, Tsung Tsai Liang,…
La branche taïwanaise, avec (entre autres…) : Ke Chi Huang, Chu Hong bing, Ben Lo qui a débuté la pratique à Taïwan puis a émigré aux USA. De même William C.C. Chen, qui a étudié d’abord en Chine avec le Me Cheng avant d’émigrer à Taïwan puis à New York… Celui-ci a développé à partir du taïchi du Me Cheng, une approche du sanshu particulière (on le voyait parfois utiliser des mitaines de MMA !). Mentionnons également T.T. Liang, qui a toujours considéré le Me Cheng Man Ching comme un maître d’exception, et qui, étant excellent danseur, a développé une pratique “en musique”.
Une autre branche du style “Cheng”, la branche malaisienne, est particulièrement sur le devant de la scène en ce moment : elle a été initiée par le Me Huang Sheng Shyan, qui était un expert en grue blanche avant de rencontrer le Me Cheng Man Ching. Il a conservé dans son enseignement de nombreux principes, exercices et formes issues de la grue blanche (du style Ming He Chuan), et du Lohan paï, ce qui en fait presque aujourd’hui un nouveau style à part entière. Il a également introduit un grand nombre de tuishou codifiés dans sa méthode. Quelques-uns des principaux représentants de ce style aujourd’hui sont : Patrick Kelly, Wee Kee Jin, Lau Kung King…
L’école Lishan : notre filiation
L’école Lishan, a été fondée par Sifu Hérald Loygue, qui représente la troisième génération du style Cheng Man Ching. Elle a eu la chance d’avoir été abreuvée par plusieurs sources-racines, Taïwannaise et malaisienne principalement. Mais pour reprendre les propos de Chen Shi Jong, professeur d’Hérald Loygue, un enseignement qui devrait être le leitmotiv de chaque pratiquant : “Raisonner en termes de styles, c’est faire mourir le taïchi”…
Le “Cheng Zi” Taïchi Chuan est avant tout un principe, un art de vie, il n’est pas un style !
Nous invitons le lecteur à se référer aux nombreux ouvrages à propos de ce Maître hors du commun, pour faire plus ample connaissance : aux éditions “Trésors des arts martiaux”: “Le Maître des 5 Excellences”, ”La nouvelle méthode d’apprentissage personnel du Tai Chi Ch’uan selon Maître Cheng”, ”Les treize traités de Maître Cheng – sur le T’ai Chi Ch’uan”,”Professeur Cheng Man-Ch’ing – Un grand maître de Tai chi parle”, aux éditions Trédaniel : “Le Tao du professeur Cheng : La Porte du miracle”.
Diplômé d’état en karaté (BEES), Emmanuel GUENVER a débuté la pratique par les arts martiaux japonais en 1988 et suivi l’enseignement de différents professeurs occidentaux et japonais.
C'est en 1999 qu'il découvre le taïchi Chuan et rencontre son professeur, Hérald Loygue de l’école Lishan à Caen, pionnier du qigong et du taïchi chuan en Normandie. Cette rencontre décisive a changé radicalement la direction de sa pratique.
Il détient un 4ème duan de taïchi chuan et enseigne aujourd'hui à Caen, au sein de l'Institut Lishan, dont il est président, aux côtés d'Anlin Loygue et de Baptiste Macé, tous deux également élèves d'Hérald Loygue.
https://lishan.fr