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Les apports du Qi gong dans les arts martiaux externes et internes

Par Table ronde CRIDF FFAEMC 2023 - 20 Mars 2025
Thématiques : Arts énergétiques, Arts martiaux, Vient de paraître
Discipline : Taichi chuan
Niveaux de pratique : Débutant

Thierry VICENTE : Bonjour à toutes et à tous. Je vais démarrer mon intervention à l’occasion de cette table ronde du 5 février 2023 « Les apports du Qigong dans les arts martiaux externes et internes », avec une première partie dans laquelle on s’intéressera à un cadrage historique et une deuxième partie dans laquelle je reviendrai sur des aspects plus pratiques à travers des exercices de Qigong dans les arts martiaux internes.

Nous allons commencer par un cadrage historique. Une première remarque peut être faite sur les pratiques énergétiques et corporelles que nous connaissons aujourd’hui sous l’appellation de Qigong et qui sont relativement récentes, puisqu’elles datent du XXe siècle, tout d’abord avec les nationalistes chinois et ensuite avec les communistes chinois qui ont mis en place ces techniques de Qigong, qui les ont codifiées et les ont cadrées.
Parmi ces pratiques de Qigong, nous pourrons citer parmi les plus célèbres le Baduan Jin ou « 8 pièces de brocard » ou encore le Yijin jin ou « Transformation des muscles et des tendons » et une dernière pratique qui a fait le tour du monde, à savoir le Wuxin xi ou le « Jeu des 5 animaux ».

Qigong de la Moëlle du Phénix Rouge par Catherine Despeux

La Moëlle du Phénix Rouge -Le Qigong de Zhou Lüjing par Catherine Despeux

La sinologue Catherine Despeux rappelle que ces pratiques que l’on connaît sous le terme de Qigong renvoient à des procédés utilisés dans la Chine ancienne sous l’appellation de pratiques pour nourrir la vie ou Yangchen. Nous retrouvons par exemple les traces d’un « jeu des 5 animaux » mentionné dès l’antiquité dans « Les Annales des Printemps et Automne ». Ensuite, il réapparaît avec « Les Chroniques des Trois Royaumes », dans la période du IIIe au IVe siècle après Jésus Christ. Ce «Jeu des 5 animaux» ressurgit à nouveau durant la période des Ming dans un ouvrage qui s’intitule « la Moelle du Phœnix Rouge ». Pourtant, c’est bien durant l’époque communiste que le Qigong a réellement été codifié. L’une des grandes figures de cette codification à l’époque communiste s’appelle Liu Guizhen qui était un cadre du parti communiste. Il y a un objectif, une stratégie : il s’agit de reprendre ces pratiques anciennes, mais de se débarrasser de toutes les références religieuses et mystiques. Pour résumer, il s’agit de rationaliser le Qigong.
Les pratiques que nous appelons « pratiques pour nourrir la vie », sont constituées de divers exercices : des massages, des exercices respiratoires et des exercices gymniques. Le but de ces pratiques est de maintenir les individus en bonne santé, d’accroître leur force vitale. Un ensemble de pratiques susceptibles normalement d’intéresser les pratiquants d’arts martiaux, qu’il s’agisse de pratiquants d’arts martiaux internes ou de pratiquants d’arts martiaux externes. En effet, comment combattre, comment se défendre si l’on n’est pas en bonne santé, si l’on est blessé ? Le Qigong apparaît a priori comme une pratique à ne pas négliger. Bien entendu, les pratiquants d’arts martiaux internes pourraient légitimement se poser la question d’une pratique de Qigong, alors qu’ils possèdent eux-mêmes tout un arsenal d’enchaînements : on peut penser aux 108 postures du Taichi chuan, les 8 paumes du Bagua zhang. L’idée est peut-être de concevoir l’utilisation du Qigong dans une acception, une pratique plus libre en dehors des enchaînements codifiés pour, justement, apporter un complément à une pratique martiale.

qi gong et réseau de neurones

Neurones et synapses

Je souhaiterais revenir sur la notion de Qi du Qigong pour donner quelques repères : le penseur taoïste Tchouang Tseu — IVe siècle avant Jésus Christ — évoque le Qi comme un élément essentiel de la vie. J’ai pris une citation de Tchouang Tseu : « L’homme doit la vie à une condensation de Qi. Tant qu’ils se condensent, c’est la vie, mais dès qu’ils se dispersent, c’est la mort ». Le sinologue Cyrille JAVARY, que beaucoup connaissent, explique à partir d’une étude sur l’idéogramme Qi qu’une traduction pertinente pourrait être « souffle énergie ». Quant à la médecine traditionnelle chinoise, elle parle de souffles au pluriel. Elle distingue plusieurs types de souffles : le souffle originel (YUAN-Qi), le souffle nourricier (YIN-Qi). Enfin, dans une approche qui se réfère davantage aux sciences occidentales, des auteurs comme le docteur Yang Jwing-Ming, physicien de formation et adepte du Taichi chuan, parle de champs électromagnétiques pour caractériser le Qi. En voici une citation : « le corps humain est constitué de matériaux conducteurs d’électricité. L’ensemble de ceux-ci forment un circuit et un champ magnétique vivant ». Enfin, une dernière référence : le fondateur du sanatorium de Qigong de Shanghai, Chen Chou conçoit le Qi comme l’expression de phénomènes liés à l’activité du système nerveux.

Nous allons à présent identifier ce travail sur le Qigong dans les arts martiaux chinois, en montrer l’utilité, mais j’aimerais d’abord faire une remarque en signalant ce que ne sera pas l’utilisation du Qi dans une pratique martiale bien comprise à mon sens, à savoir tout ce qui est lié à des projections de Qi dans le combat. Si l’on veut être pris au sérieux dans les arts martiaux en général, dans les sports de combat également, il faut selon moi proscrire cette idée de projection de Qi. Aucun expert dans les arts martiaux chinois n’a tenu plus d’une minute face à un boxeur, même de second rang, en utilisant son Qi. Par exemple, en 2018, il y a eu un combat entre un expert de Taichi Chuan nommé Lei Wei, contre un combattant de MMA (Mixed Martial Art) durant lequel l’expert de Taichi Chuan n’a pas tenu plus d’une minute et le Qi ne l’a donc pas protégé des coups de poing de son adversaire. Voilà mon préalable concernant le Qi dans l’utilisation du Qigong dans les arts martiaux. Pour autant, les arts martiaux chinois reposent sur quelques principes comme celui du relâchement qui relève autant du mental que du relâchement du corps et l’on pourra donc trouver des exercices de Qigong permettant de favoriser ce relâchement.

Le Bagua zhang

Bagua zhang

Automassage en qigong

Automassage

Je vais maintenant aborder ma seconde partie, avec la présentation de quelques exercices de Qigong que l’on pourra utiliser dans les arts martiaux internes. Sans en dresser une liste exhaustive, j’en ai retenu quelques-uns qui relèvent aussi d’une pratique personnelle :

  • Des frappes sur le corps (Paida gong) permettent, sur le temps de l’échauffement, de favoriser la circulation du Qi tout en renforçant le corps, ceci avec une maîtrise de l’intensité de la frappe.
  • Un second exercice : les massages ou, plus précisément, les automassages que l’on retrouve dans les pratiques de Qigong traditionnel. Nous pouvons les utiliser en début de séance lors d’un entraînement, soit au moment de la préparation et les utiliser également à la fin d’une séance sur un temps de récupération. Dans le premier cas, il s’agit de chauffer les muscles, de préparer les articulations ; dans le deuxième cas, sur le temps de la récupération, la fonction est réparatrice lorsque le corps a subi des coups.
  • Un troisième exercice est la pratique de la marche en cercle que l’on retrouve dans le Bagua zhang. Cette marche en cercle constitue un véritable Qigong. Elle permet de tonifier le corps à partir de l’utilisation d’un pas. Un pas typique à la marche en cercle du bagua est le Tang ni bu que l’on traduit par « pas dans la boue ». Ce pas favorise la stimulation de la zone Yong quan ou « source jaillissante » et, de façon plus générale, l’ensemble de la plante du pied est une zone de projection énergétique. Je vous ai préparé une autre citation : celle d’un maître de Bagua, Liu Jingru : « les zones énergétiques sont massées par la marche et stimulent à distance les viscères, les organes sensoriels, les glandes et les articulations avec lesquelles ils sont en résonnance ».
  • Zhang zhuan dans la pratique du Yiquan

    Zhang zhuan « planté comme un pieu »

    Je terminerai par un dernier exercice : la pratique du Zhan zhuang que l’on traduit par « planté comme un pieu », mais la posture est plus connue sous l’appellation « posture de l’arbre ». On notera que ce Zhan zhuang se retrouve dans différents arts martiaux internes, comme le Hsing I chuan, une boxe que l’on pratique en ligne, dans laquelle on va retrouver des références aux 12 animaux, aux 5 principes. Dans le Hsing I Chuan le principe du Zhan zhuang est travaillé à partir d’une posture qui s’appelle San Ti Shi ou 3 coordinations. Nous retrouvons aussi cette pratique du Zhan zhuang dans le Bagua, à travers ce que l’on appelle « les paumes fixes ».Et, bien entendu, dans une autre pratique qui a peut-être plus poussé la logique du Zhan zhuang, le Yiquan. Quel est l’intérêt du Zhan zhuang ? Dans ces exercices, le Yi ou l’intention permet de faire circuler le Qi dans le corps. Cette pratique permet aussi de créer des stimuli nerveux qui favorisent des micromouvements instantanés. Ceux-ci sont utiles dans la pratique des arts martiaux pour gagner en rapidité d’exécution dans une réponse que l’on peut apporter à une attaque en mobilisant l’ensemble du corps. Je terminerai avec une référence à un lien entre ce Zhan zhuang et les neurosciences qui mettent en lumière la façon de créer des connexions entre le réseau des neurones, via l’activation de nouvelles synapses. C’est ce que nous appelons la plasticité cérébrale.

Pour conclure mon intervention, je dirai que des exercices liés au Qigong sont bien présents dans les arts martiaux internes, que la croyance en un Qi mystique qui doit permettre de terrasser ses adversaires est, à mon sens, à proscrire et on notera également que les arts martiaux internes ne se réduisent pas à la seule utilisation du Qi. Il y a d’autres éléments à rechercher et je pense à la recherche de l’élasticité du corps à travers le jeu des polarités yin yang, c’est-à-dire le jeu des différentes directions et cela me semble tout aussi important. Je vais à présent laisser la parole à Joël VALENTIN.

Joël VALENTIN : Merci Thierry. Les exercices réalisés sont pratiquement les mêmes qu’en art externe. En externe, dans le style Hung-gar, nous avons deux exercices en pratique : le premier en statique et le second en dynamique. L’exercice en statique est la position du cavalier. Cette position va nous permettre de renforcer les muscles des membres inférieurs, d’avoir une bonne stabilité et surtout d’avoir une stabilité au niveau du torse qui nous permet justement d’avoir des frappes assez puissantes dans ce style. Pour ce qui concerne le style dynamique, nous aurons le mouvement des bras, avec lequel nous aurons beaucoup plus de vitesse de percussion et de puissance. Le principe du Qigong dans ces styles est justement la concentration, le positionnement des bras et le travail mental des membres que l’on utilise, inférieurs ou supérieurs. Dans ces pratiques, la concentration est de mise, puisque lorsque l’on réalise les mouvements de bras avec les griffes ou les paumes, il faut penser cette puissance, cette force, cette concentration au bout des membres. Dans tout ce que Thierry nous a présenté, la pratique reste la même et l’entraînement au niveau du Kungfu externe dans le style Hung-gar se résume à ces deux perceptions, statique et dynamique. Mon intervention est courte, mais le précédent intervenant a dit beaucoup de choses que je ne vais pas paraphraser. Tout ce qui a été dit pour ces exercices est valable aussi pour le Kungfu externe.

qi gongAkli HAMMADI : Merci aux organisateurs de cette réunion très intéressante. Je remercie également les collègues qui ont partagé avec nous leurs expériences. Je pratique le Qigong depuis une trentaine d’années et, bien avant, j’ai débuté par le judo. J’ai 61 ans et ai pratiqué le judo très jeune, à l’âge de 10 ans. Je le pratique à présent depuis une cinquantaine d’années et l’enseigne. Avant de démarrer mon exposé, je voudrais dire qu’il est plus raisonnable de voir toutes ces approches, les arts martiaux internes, externes ou énergétiques, comme faisant partie d’une même famille. Il serait illusoire, voire même dommageable, de cloisonner toutes ces approches qui se nourrissent toutes les unes des autres. Le Qigong, art énergétique chinois, a toute sa place dans la pratique des arts martiaux internes ou externes. Je vais structurer mon exposé en trois parties : dans la première, je vais vous parler de ma propre expérience en tant que judoka et vous décrirai comment je suis arrivé au Qi gong. Puis, à travers des exemples concrets, nous allons voir comment le Qigong peut se positionner dans une séance, quelle que soit la discipline, qu’il s’agisse d’un art martial interne ou externe. Je terminerai ensuite par les apports du Qigong pour une personne qui va pratiquer les arts martiaux tout au long de sa vie, en préservant une certaine motivation.

J’ai débuté le judo assez jeune et, vers 35 ans, comme c’est souvent le cas lorsque l’on pratique un art martial de façon intensive, nous avons des blessures dont nous avons du mal à récupérer et la force physique commence à s’estomper peu à peu. J’étais alors à la recherche d’une discipline complémentaire pour pouvoir me reconstruire, pour pouvoir atténuer cette douleur qui commençait à apparaître et, aussi, pour trouver une approche d’une dimension plus mentale, comme cela a été indiqué. Je suis persuadé, effectivement, que le physique joue un rôle essentiel dans la pratique d’un art martial, mais le mental reste aussi primordial. J’ai alors découvert le Qigong qui a été pour moi une véritable révélation. Il ne faut pas oublier que le Qigong fait partie de la médecine traditionnelle chinoise et est donc, avant tout, un art hygiéniste qui se positionne dans la prévention en matière de santé, comme cela a été indiqué. Aujourd’hui, même en France, il est reconnu comme une thérapie complémentaire. On l’utilise dans le « sport santé », « sport sur ordonnance » et j’ai eu la chance de rencontrer un professeur de Qigong qui, lui-même, pratiquait les arts martiaux internes et externes. Le courant est passé tout de suite et cela a changé ma pratique du judo, au départ plutôt physique — dans l’esprit des compétitions qu’il fallait gagner — et j’ai découvert une autre façon de pratiquer les arts martiaux, un peu dans la ligne de ce qui a été indiqué par le fondateur du judo, maître Jigoro Kano, c’est-à-dire la voie de la souplesse. Au début de ma pratique, ce n’était pas du tout de la souplesse, mes mouvements étaient tout en puissance et, grâce au Qigong, j’ai découvert une autre façon de pratiquer le judo. Au fur et à mesure, j’ai pu effectivement introduire dans ma pratique de judoka et de jujitsu également, toute cette dimension dont nous avons parlé : concentration, intention, énergétique, car en prenant de l’âge, la force diminue, ce dont je parlerai dans la troisième partie de mon exposé. Cela a été, pour moi, une grande découverte et c’est la raison pour laquelle je dis que l’on ne peut pas vraiment dissocier cette dimension énergétique, si l’on veut pratiquer véritablement un art martial avec toutes ses composantes. D’ailleurs, si vous regardez la littérature, quels que soient les arts martiaux, qu’ils soient chinois, japonais ou autres, on va retrouver, d’une certaine façon, cette dimension énergétique.

Le qigong pour renforcer le corps

Le qigong pour renforcer le corps dans la détente

Comme je l’ai indiqué, la seconde partie de mon intervention concerne les apports du Qigong dans une séance lambda, quelle que soit la discipline. Nous pouvons bien sûr utiliser le Qigong au tout début du cours, c’est-à-dire la partie que l’on dénomme communément « l’échauffement ». Cela permet effectivement de préparer le corps et nous allons effectivement utiliser différentes techniques classiques pour préparer le corps, préparer le mental et préparer aussi la dimension énergétique pour faire une prestation physique qui peut être poussée.
On peut également utiliser le Qigong à la fin du cours, à la fin de la séance pour une meilleure récupération, pour faciliter la récupération du corps le lendemain et donc préparer le corps pour qu’il puisse récupérer ses capacités, pour aussi un retour au calme. Les séances de judo sont souvent en fin de journée, en début de soirée, représentent deux heures d’entraînement assez intensif et nous épuisent fréquemment. Le Qigong peut alors apporter aussi un retour au calme pour passer une bonne nuit et récupérer ainsi beaucoup plus facilement.
Nous pouvons aussi utiliser — c’est très peu développé ou peut-être cela dépend-il aussi des styles — le Qigong au cours de la séance, dans le cœur de la séance sur un thème qui peut être le relâchement, la vitesse, la puissance, le renforcement du corps, sachant que le Qigong propose un certain nombre de techniques : c’est le cas de la chemise de fer, de la maille de fer également pour renforcer le corps et, aussi, la concentration, l’attention. On ne peut pas concevoir un art martial et aller au combat « la fleur au fusil », sans être attentif et concentré à 200 % sur ce qui va se passer. Cela demande donc une présence et la capacité de capter le moindre indicateur, le moindre paramètre pour ajuster son attaque, voire même simplement, pour se défendre et, ensuite, enchaîner. Cela demande donc une disponibilité qui requiert évidemment un entraînement. Le Qigong et les outils proposés peuvent permettre aux pratiquants d’investiguer sur ces domaines qui sont alors extrêmement précieux.

wushuMa troisième partie concerne le pratiquant, l’athlète, dont la pratique va évoluer au fil du temps. En prenant de l’âge, leur pratique va se transformer, de par l’évolution de leur condition physique. Le Qigong peut effectivement permettre au pratiquant de s’y retrouver. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure en ce qui me concerne, au début, on est plus sur le corps, le physique, la performance physique et après, petit à petit, d’autres compétences vont compenser une déficience au niveau des capacités physiques, de la puissance, de la force. Ces nouvelles compétences permettent, malgré tout, de conserver un bon niveau dans la pratique de l’art martial. Je peux prendre un exemple concret, mais vous pouvez également le faire, par ailleurs : les grands maîtres, quels qu’ils soient, finissent par connaître un déclin de leurs capacités physiques. Ils restent toutefois d’éminents maîtres, parce qu’ils ont su précisément utiliser d’autres ressources. Par exemple, dans le domaine des arts martiaux, l’Aïkido, que j’apprécie également par sa dimension martiale physique, a aussi une utilisation du Qi : le maître Uchida avait malgré tout vers la fin de sa vie une certaine présence martiale reconnue et connue. Ceci, car il avait fait évoluer sa pratique avec une dimension énergétique qui était manifeste.
Pour terminer, je rejoindrai le propos de Thierry : attention à tout ce qui est mystification et ne pas tomber dans les excès. On peut prêter au Qi énormément de choses, mais il faut rester raisonnable. Il est par contre certain que le travail énergétique peut apporter nombre de choses et l’on peut travailler bien évidemment sur différents niveaux, comme cela a également été dit par Thierry. Nous pouvons travailler sur la notion de souffle qui peut paraître assez mystérieuse, mais recouvre en réalité des aspects concrets dans le domaine martial, dont certains ont été un peu délaissés aujourd’hui : je pense tout particulièrement au souffle, au son qui, il fut un temps, était utilisé dans le domaine des arts martiaux, avec l’exemple du fameux Kiaï qui ne permet pas en soi de nuire à un adversaire, mais permet toutefois d’aller puiser cette énergie nécessaire pour porter l’attaque au bon moment et au bon endroit. Le Qi permet d’unifier le corps et l’esprit à un moment donné et obtenir le résultat voulu et décisif. Je vais clore à présent mon intervention et laisser la place à nos échanges et à vos questions. Merci.

CRIDF : Merci à vous trois pour vos interventions très riches. De mon côté, j’aurai une question à poser à Joël VALENTIN : tu enseignes également le Sanda et le Wushu. Quel serait l’intérêt de pratiquer le Qigong pour un jeune pratiquant, adolescent ou même enfant et quels seraient les écueils de ne pas pratiquer le Qigong lorsque l’on pratique le Sanda ou le Wushu ?

Joël VALENTIN : Lorsque l’on pratique le Sanda ou le Wushu, le Qigong améliore la concentration et l’attention. Lorsque l’on pratique le Sanda, c’est-à-dire la forme moderne de la boxe chinoise, alors que le Sanshu en est la forme traditionnelle, l’élève va acquérir beaucoup plus de concentration dans ses mouvements et dans ses attaques. Ceci, car la pratique est, au départ, externe et l’on pourrait dire « fougueuse », le pratiquant ayant tendance à se disperser, à donner des coups de pied et des coups de poing, à « y aller », à foncer. Dans cette pratique, en enseignant la technique, on apprend à l’élève à se concentrer sur le coup de poing à porter, sans nécessairement dans l’intention de faire mal, on lui apprend plutôt à donner le bon coup de poing, le bon coup de pied, avec la bonne technique, c’est-à-dire le geste juste. Il s’agit d’un travail externe, mais aussi interne et énergétique. Il faut relier ces trois composantes. Si l’on privilégie uniquement l’aspect musculaire, on n’est pas efficace. Il faut associer la dimension musculaire à la souplesse et à l’aspect énergétique. Pour les enfants, le Qigong est le centre de tout. Nous parlons des arts martiaux, mais lorsque l’on pratique un autre sport, on peut aussi pratiquer le Qigong. Dans ses exercices, c’est une composante qui va régénérer et permettre à la personne qui pratique un sport martial ou un sport quelconque de mieux se concentrer et d’avoir une meilleure attention sur sa pratique. C’est un travail mental permettant de prendre conscience du geste. Si l’on prend conscience du geste, il sera beaucoup mieux fait.

CRIDF : Cela a éveillé ma curiosité de pratiquante de Qigong, mais je pense toujours aux jeunes qui pratiqueraient le Sanda ou le Sanshu : quel type de Qigong recommanderiez-vous à un enseignant pour ces jeunes ?

Joël VALENTIN : Je ne suis pas spécialiste du Qigong.

CRIDF : Vous parliez de « main de fer »…

Joël VALENTIN : Non. Ce sont des techniques dont nous avions besoin auparavant parce que le contexte n’était pas le même qu’aujourd’hui. Je ne vois pas l’intérêt, sauf pour le spectacle, d’apprendre à un jeune à pratiquer la « main de fer » ou à casser des briques ou que sais-je. Le but n’est pas cela. Le but est d’acquérir une bonne pratique et, justement, d’exclure ces pratiques-là, car notre temps ne s’y prête pas. De plus, ce sont des pratiques dangereuses et nous le disons. Les moines de Shaolin le pratiquent parce que c’est dans leur ADN. Chez nous, comme le disait Akli, ces pratiques sont néfastes et sont aussi dangereuses. Nous avons eu des cas de personnes tuées en recevant un coup de poing. Ce sont des pratiques à exclure. D’ailleurs, lorsque l’on pratique le Qigong, mais aussi un art martial, quel qu’il soit, il faut que la personne qui l’enseigne soit diplômée. C’est une notion importante. Un professeur diplômé d’AEC (Qigong) est responsable car il sait ce qu’il va enseigner à ses élèves. Si quelqu’un lui demande de lui enseigner telle ou telle technique, comme on me l’a déjà demandé, la réponse est non. D’ailleurs, dans mon style Hung-gar, dans le Sanda et le Sanshu, j’utilise le Qigong spécifique à ces styles. Le Baduan jin ou « les huit pièces de brocart » est l’enchaînement que je pratique personnellement ainsi que le Yi jin jing pratiqué pour assouplir les tendons et les muscles. Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive et il est aussi possible de pratiquer tous les Qigong qui sont des pratiques bénéfiques. Je pratique le Baduan jin, mais les autres Qigong sont tout aussi bien. Dès l’instant où vous avez un Qigong dynamique, où il y a du mouvement et où l’on travaille la respiration, c’est bénéfique, car cela revigore le corps.

CRIDF : J’aurais aussi une question concernant l’histoire et qui s’adresserait donc plus à Thierry : comment les autorités sportives chinoises intègrent-elles le Qigong dans le Wushu sportif et le Sanda ?

Thierry VICENTE : Le Qigong va être utilisé à des fins personnelles. En réalité, chaque pratiquant, chaque athlète peut utiliser le Qigong s’il le souhaite, mais dans les faits ce sont des méthodes plus modernes ou occidentales de récupération qui prévalent : cryothérapie, massages. Pour les athlètes de Sanda, le Qigong n’est pas spécifiquement utilisé. Ce n’est pas la pratique la plus courante pour le travail de récupération, par exemple.

CRIDF : Je constate qu’Akli pratique un art martial qui n’est pas chinois et le Qigong lui sert. Donc, la pratique du Qigong est utile pour tous les arts martiaux en général. Akli parlait de révélation lorsque l’on pratique le Qigong et après, on ne pratique plus aucun sport de la même manière, que ce soit la natation, le ski. Qu’importe la discipline, du moment qu’on la pratique en pleine conscience, pour en faire profiter le corps et l’esprit et en améliorer les performances.

Question d’un participant : Le général Yue Fei se servait du Baduan jin pour entraîner ses troupes : comment a-t-il pu utiliser ces techniques à des fins martiales ?

Le général Yue Fei

Le général Yue Fei

Thierry VICENTE : Le général Yue Fei est un général de la dynastie des Song au XIIe siècle. On ne connait pas vraiment la pratique qui pouvait être celle du XIIe siècle. Le général Yue Fei devait repousser des guerriers mongols, donc a priori pas forcément très amicaux. On peut effectivement se poser la question quand on regarde les pratiques actuelles qui sont des pratiques de santé et pour lesquelles on peut se demander quelle peut être l’implication martiale. Il est possible que pour renforcer le corps de ses soldats, ce général ait aussi utilisé des outils ad hoc. Dans le Baduan jin, on a des postures dans lesquelles on va monter les bras vers le haut. On peut supposer que dans ces mouvements de bras vers le haut, il y avait peut-être à l’époque une pierre placée dans les mains pour renforcer le corps. L’objectif était de rendre plus forts les soldats. Peut-être par le souffle, le Qi, pourquoi pas, mais, très certainement ou du moins est-ce la piste que je creuse, par un renforcement qui était aussi musculaire.

Akli HAMMADI : Aujourd’hui, on ne peut pas savoir comment cette forme, le Baduan jin, était pratiquée à l’époque. Toutefois, il faut voir que dans toutes ces pratiques, il y a le fond et la forme. Si l’on regarde aujourd’hui dans les arts énergétiques chinois, il y a le Baduan jin, il y a le jeu des 5 animaux et finalement, peu importent les techniques, mais il y a différentes façons de les pratiquer, suivant le style et les écoles. Il ne faut donc pas s’arrêter à la forme, mais plutôt au fond qui est toujours le même. Je pense que, malgré les époques, au fil des siècles, le fond n’a pas changé. En fin de compte, ces techniques n’étaient pas purement guerrières, puisqu’elles sont plutôt devenues maintenant hygiénistes et pour la santé, mais elles véhiculent malgré tout un fondement qui est un travail énergétique, un travail sur le mental également pour aller faire la guerre, pour se battre. Si vous montez sur un tatami ou si vous allez vous battre, a fortiori quand il y a risque de mort, la peur est là et, à un moment donné, il faut renforcer le mental. Il faut aussi ramener une certaine cohésion au niveau du groupe. Pour un général, c’est effectivement important de créer cette cohésion du groupe à travers un entraînement, mais qui doit effectivement couvrir tous les aspects. Comme cela a été dit par mes collègues, le Qigong apporte au niveau corporel la possibilité de faire de nombreux mouvements. Si l’on peut établir cette comparaison, c’est un peu comme le verbe : des personnes ont un registre étendu, avec un vocabulaire extrêmement riche, s’expriment avec aisance, sont comprises et comprennent leurs interlocuteurs. Dans le domaine martial, si vous avez un registre corporel extrêmement limité, la pratique sera difficile pour vous. Pratiquer des formes autres que les formes spécifiques à l’art martial, des formes avec une dimension énergétique permet à un moment donné de mobiliser le qi et toutes les ressources pour une réponse instinctive à une attaque.

Il ne faut pas l’oublier : lorsque l’on fait un combat, on ne pense pas aux coups que l’on va porter ni que l’on va esquiver. Cela doit être instinctif, car, sinon, vous êtes mort. Donc, dans ce contexte, on doit habituer le guerrier, le pratiquant à toutes les situations et l’on doit travailler encore et encore, pour que cette technique soit exécutée au bon moment avec un bon timing, sans y réfléchir. Si vous avez un registre très limité, vous êtes mort ! Je pense donc que ces techniques ont été amenées de cette façon.

CRIDF : Si je comprends bien, la pratique du Qigong aide à développer l’intuition et l’instinct pour pouvoir répondre rapidement lors d’un combat. Deux questions nous sont parvenues entretemps via la messagerie : « avec la pratique du Qigong, avez-vous ressenti personnellement une influence dans la vie quotidienne, dans les relations avec les autres ? Plus calme, plus d’écoute, plus d’ouverture ? »

wushuThierry VICENTE : Selon moi, la réponse est déjà contenue dans la question. Je dirais que c’est vrai pour le Qigong et c’est vrai également dans les pratiques martiales en général, internes ou externes. Ceci, car elles apportent une certaine confiance en soi et quand on a confiance en soi, on est quand même mieux dans la relation avec les autres. Pour ce qui concerne le Qigong et ce qu’il en est de ma pratique personnelle, oui, il y a un certain calme, une recherche du calme à travers le Qigong. Donc, oui la pratique du Qigong procure des bienfaits.

CRIDF : « La respiration en Qigong, quels apports dans les arts martiaux » ?

Joël VALENTIN : C’est une question fondamentale. En tant que pratiquant d’un art martial externe (je pratique à la fois un art martial interne et un art martial externe), j’organisais des stages avec mes élèves, dans lesquels je pratiquais le combat, kungfu contre taichi, que j’enseignais également à mes élèves. Pour cela, il ne faut pas oublier que, dans la pratique du Qigong, de l’interne, mais aussi de l’énergétique, lorsque l’on fait un geste, on réfléchit à ce geste : lorsque l’on monte le bras, on pense que l’on monte le bras, si on l’oriente à droite, on pense qu’on l’oriente à droite et le geste est ainsi mentalement décortiqué. Lorsque l’on pratique un art martial externe, on exécute un geste, mais on n’a pas le temps d’accompagner le geste avec la pensée. Lorsque l’on monte le bras, on peut respirer naturellement, c’est un exercice spécifique. On peut accompagner le geste avec la respiration. Dans le combat, kungfu contre taichi, j’apprenais à mes élèves lors de la respiration, sur l’attaque naturelle ou maîtrisée, à pouvoir récupérer le bras de l’adversaire et le dévier. Ceci, sans force. La respiration dans la pratique du Qigong ou de l’interne sert aussi à cela. La respiration permet d’absorber. Lorsque l’on respire, on peut récupérer une attaque et la dévier, comme en Aïkido.

CRIDF : Dans la pratique des arts martiaux, que vous apporte le travail du souffle que vous avez découvert dans le Qigong  ?

Akli HAMMADI : Nous l’avons dit tout à l’heure lors de nos présentations respectives, le mot Qi peut être utilisé et retranscrit « l’énergie », mais le mot « souffle » a son importance et est forcément relié à la respiration. Lorsque l’on pratique un art martial, qui plus est externe, la respiration va jouer un rôle fondamental dans l’action. L’inspir et l’expir seront donc forcément placés dans l’action. Ceci afin de placer l’action correctement avec un bon timing, à un bon endroit et avec surtout une bonne puissance. Là est le travail d’intention et de visualisation et lorsque je vais donner mon coup, je ne l’arrête pas. Je traverse le corps de mon adversaire et j’y appuie en expirant le plus violemment possible pour avoir le maximum de puissance. En utilisant le souffle, j’utilise mon énergie et j’utilise le souffle pour unir l’esprit au corps. Mon coup part du hara, c’est-à-dire du dantian et va remonter jusqu’au poing et, avec la respiration, je vais appuyer sur une zone réduite pour obtenir une percussion la plus performante et la plus dévastatrice, car c’est un art martial. Donc, avec une puissance qui doit être explosive. Le souffle est là, dévastateur, comme il peut être régénérateur si je l’utilise dans une dimension hygiéniste ou de santé. C’est donc une très bonne question, c’est l’essentiel. Pour guider son souffle, le Qigong est bien placé parce que l’on apprend à respirer, à placer sa respiration dans le mouvement et le jour où l’on veut exploser, le mouvement part vite et bien. Après, il faut l’expérimenter. Je l’ai vécu à plusieurs reprises et c’est assez fantastique.

Joël VALENTIN : La pratique du Qigong favorise aussi la méditation, permet de mieux méditer, de mieux se reconcentrer sur soi et d’ôter certaines barrières, ce qui nous gêne dans notre pratique, pour faire des efforts et aller de l’avant. Plus on répète un geste doucement, plus l’on prend conscience de ce geste et plus l’on a tendance à réfléchir, à méditer et à se poser des questions. On se posera des questions sur le geste pour savoir si on l’a exécuté correctement, mais aussi, dans la vie courante : si l’on a bien agi ou pas et cela nous pousse donc aussi à nous améliorer.

Thierry VICENTE : Je redonne sa liberté à la respiration, la laisse aller et lorsque j’ai besoin d’inspirer, j’inspire ou d’expirer, j’expire, sans plus me poser de questions que cela. Ma seule limite serait de me retrouver en apnée. Par ailleurs, la respiration, c’est bien, mais n’oubliez pas le cardio ! De vous préparer au cardio pour ceux qui font un peu de combats et, pour la self-défense, en cas d’agression, retrouver son calme, sa maîtrise de soi, sa respiration bien entendu, mais aussi du cardio : sauter à la corde, de temps en temps, oui, c’est bien, même pour un pratiquant d’arts martiaux internes.

CRIDF : Merci à tous les trois, Akli Hammadi, Thierry Vicente et Joël Valentin. Merci aussi infiniment à Emmanuel Malibert qui nous a apporté sa contribution technique pour le son et l’image. Vous pouvez retrouver l’enregistrement de cette table ronde sur la chaîne YouTube du CRIdF FFaemc.

Transcription de la table ronde « Les apports du Qi gong dans les arts martiaux externes et internes », organisée par le Comité régional Ile de France de la FFAEMC le 5 février 2023.

Ecrit par Table ronde CRIDF FFAEMC 2023

VICENTE Thierry - 3e duan Bagua zhang
HAMMADI Akli - 6e duan Qigong, professeur de Judo et de Qigong
VALENTIN Joël - 5e duan Kungfu, 2e duan Taichi chuan
CRIdF - Sophie IKONOMOU, présidente du Comité Régional Ile de France, 3e duan Qigong

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