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Qigong santé, l’art de Hua Tuo au XXIe siècle

Par AUGOYARD Eric - 14 Mars 2023
Thématiques : Arts énergétiques
Discipline : Qigong
Niveaux de pratique : Débutant

Réflexion sur l’adaptation d’une pratique traditionnelle à la démarche médicale d’aujourd’hui.

Les origines du qigong se perdent dans la nuit des temps, certains enchainements pratiqués aujourd’hui sont datés de plusieurs millénaires. Les exercices de Hua Tuo que l’on va voir ici ont été conçus au début de notre ère. La question se pose pour nous qui sommes des Occidentaux du XXIe siècle avec des esprits cartésiens, comment il nous est possible de pénétrer et d’utiliser la connaissance d’un Chinois de l’antiquité. Nous comprenons l’univers sous ses aspects physicochimiques, quand la tradition appréhende le cosmos à travers des images, des symboles, des analogies. Elle introduit régulièrement et sans complexe le merveilleux et le fantastique dans sa cosmogonie. Face à la démarche scientifique, mesurable et reproductible, y a-t-il une contradiction, ou une complémentarité ? Cet article, à travers l’histoire d’un personnage célèbre, est une invitation à jouer avec ces deux approches.

La vie de Hua Tuo
Hua Tuo 华佗 (110-207 après JC) était un médecin renommé de la dynastie des Han de l’Est. Sa vie est décrite dans la chronique des Trois Royaumes. On y relate les épisodes de son enfance durant lesquels il fit preuve d’une grande intelligence, son apprentissage en tant que médecin, ainsi qu’un certain nombre de cas cliniques remarquables. Après une carrière épique, il finit assassiné par un général qu’il a refusé de soigner.
Son fait le plus renommé est l’opération d’un abcès intestinal (appendicite) durant laquelle il fit ingurgiter une potion anesthésiante à son patient, ouvrit l’abdomen, découpa la partie malade de l’intestin, posa des agrafes pour refermer et enduisit la plaie d’un onguent cicatrisant. Le malade aurait récupéré en quelques jours. Dans cette littérature ancienne, il est difficile de faire la part entre l’histoire et la légende. Une telle opération était très improbable à cette époque.

Hua tuo jia jiEntre légende et réalité

L’existence même de Hua Tuo est contestée par certains spécialistes des textes classiques. Sa biographie raconte son apprentissage en tant que médecin auprès d’un ami de son père. Sa science aurait été portée au plus haut niveau suite à l’apparition mystérieuse de deux déités qui lui auraient confié un livre céleste de médecine. Les anecdotes merveilleuses cohabitent avec des faits très réalistes. Le personnage constitue une icone d’un médecin idéal, travailleur, honnête et inspiré. Qu’il soit soutenu par « le Ciel » est finalement tout à fait dans la nature des choses telles qu’on les comprenait à cette époque.
Aujourd’hui, il est connu de tous les acupuncteurs pour sa découverte des 17 points para-vertébraux qui portent son nom Hua Tuo Jia Ji.

Le jeu des cinq animaux

Hua Tuo était connu pour son habileté à nourrir sa nature, et à préserver sa vitalité. Même à la fin de sa vie, il était très dynamique et paraissait jeune alors qu’il était presque centenaire. Il déclarait que pour préserver le corps il faut le maintenir en mouvement et utiliser les méthodes du daoyin, littéralement conduire et étirer (ancien nom du qigong). Il a créé le jeu des cinq animaux (wu qing xi, 五禽戏). Une imitation de cinq animaux chacun associé à l’un des cinq éléments de la pensée chinoise. De cette manière, tous les organes et tous les méridiens d’acupuncture sont stimulés et renforcés. Cette méthode est particulièrement belle à voir et est très agréable à pratiquer. Réputée dans le monde entier, elle fait partie de la petite liste de celles promues par le ministère chinois de la culture physique et du sport.

L’exercice du tigre
Dans la pratique de l’exercice du tigre, il faut incarner la force, la souplesse et la détermination du tigre. Les yeux grands ouverts pénètrent l’horizon. Les mains sont étendues puis ramenées avec vivacité. Les mouvements concilient la force et la douceur, libérant une puissance semblable à un coup de tonnerre tout en exprimant une sérénité résistant à toute épreuve.
En rapport avec le mouvement du bois, cet exercice harmonise foie, vésicule biliaire, la vue, les muscles et les tendons.

 

L’exercice du cerf
Le cerf court sans peine dans les bois. Il parcourt l’horizon du regard, et croise les bois avec ses congénères. Lors de la pratique de l’exercice du cerf, les mouvements sont gracieux et souples. Il faut étirer les membres et enrouler le tronc en douceur. On se figure, tel un cerf gambadant et jouant dans la nature.
Reliés au mouvement de l’eau, ces mouvements favorisent les reins et la vessie, l’ouïe, les os et la moëlle, les vaisseaux gouverneur et conception.

 

L’exercice de l’ours
L’ours bouge avec lenteur et lourdeur. Sa tranquillité s’associe avec une force puissante mais douce. Il fait preuve de souplesse et de rythme par des mouvements amples.
Très bon représentant de la terre, cet animal renforce rate, pancréas, estomac, les chairs et le dan tian (centre énergétique du ventre). Il harmonise tout le système digestif.

 

L’exercice du singe
Le singe est vigoureux et très habile pour sauter d’une branche à l’autre dans les arbres. Ses mouvements sont vifs, adroits et rapides. Il est très malin, mais malgré les apparences il sait atteindre la sérénité et la tranquillité de l’esprit.
Relié au mouvement du feu, cet exercice travaille cœur, péricarde, intestin grêle et l’usine énergétique des trois foyers. Il agit aussi sur l’esprit.

 

L’exercice de l’oiseau
Il faut ici incarner la grue qui est considérée en Chine comme un symbole de longévité. Sa blancheur représente sa pureté et le rouge de sa tête la vitalité. Quand elle se tient debout, la force de son épine dorsale lui permet d’étirer son cou, tenant la tête droite. Quand elle vole, « elle voltige comme les nuages errants qui côtoient la lune ».
Représentant le mouvement du métal, l’oiseau agit sur les poumons et le gros intestin. Il favorise la circulation du qi et du sang et nourrit la vitalité.

On voit à travers cette brève description que les animaux ne servent pas seulement à inspirer une manière de bouger, mais ont aussi valeur d’emblèmes pour des notions énergétiques et cosmologiques. La pratique permet d’installer l’être humain en harmonie entre ciel et terre, avec lui-même et ses semblables. C’est la définition de la santé en médecine traditionnelle chinoise qui est à proprement parler holistique.
D’innombrables techniques ont été mises au point à travers les siècles pour cultiver la santé et soigner quand nécessaire. Ci-dessous, Hua Tuo fait référence aux bénéfices de la sudation qui est connue pour chasser les énergies perverses externes quand elles résident en surface.

«J’ai une technique qui s’appelle le Jeu des cinq animaux ; le premier s’appelle le tigre, le deuxième le cerf, le troisième l’ours, le quatrième le singe, et le cinquième l’oiseau ; elle sert à chasser les maladies et elle est bénéfique pour les membres inférieurs. Lorsque le corps ne va pas bien, exécutez le jeu d’un animal jusqu’à sudation, enduisez vous de poudre, le corps devient léger et vous recouvrez l’appétit. »

Huo Tuo à son disciple Wu Pu, livre des Han postérieurs

L’activité physique pour la santé aujourd’hui

Durant la révolution culturelle la Chine a banni le qigong pour des raisons idéologiques. Depuis, elle l’a réhabilité en tant que pratique physique favorable à la santé. Pays bien connu pour son pragmatisme, il a compris la nécessité de revenir sur sa décision pour répondre aux besoins vitaux de sa population.
En Occident, la pratique sportive est de plus en plus mise en avant par les autorités médicales pour lutter contre les maladies chroniques. A cette fin, le ministère français des solidarités et de la santé a mis en place le système de sport sur ordonnance, et des maisons de sport santé pour le mettre en œuvre.
Il s’appuie sur de très nombreuses études qui évaluent les effets des différentes pratiques sportives dans leur valeur de thérapeutique non médicamenteuse. Elles prouvent qu’elles sont efficaces aussi bien en prévention qu’en traitement dans de nombreuses pathologies :
– les effets de l’avancée en âge,
– le diabète de type 2,
– l’obésité,
– différents types de cancers,
– les pathologies cardio-vasculaires,
– l’hypertension artérielle,
– les maladies du cœur,
– les pathologies de l’appareil locomoteur,
– l’arthrose,
– les lombalgies chroniques communes,
– l’ostéoporose,
– la fibromyalgie,
– les troubles psychiques,
– la dépression, etc.

L’accord du médecin est bien sûr nécessaire, celui-ci peut donner des contre-indications à l’exécution de certains exercices.
La démarche scientifique préside à l’évaluation des différentes méthodes. Pour chaque pathologie, en fonction de la gravité de la maladie, du type de patient (sexe, âge,…), on détermine une activité physique suivant une fréquence, une durée, une intensité, etc. Il s’agit d’une approche pharmacologique :

Par exemple, une pratique sportive peut être utile dans la prévention et le traitement du diabète de type 2. Pour obtenir un résultat notable, il faut déterminer quel type d’activité est possible. La marche est-elle intéressante, ou faut il conseiller un effort plus intense comme la course à pied ? Combien de séances par semaine, sur quelle durée ? Dans le cas du diabète, les effets sont facilement et rapidement objectivables par la mesure de la glycémie. Des statistiques sont faites pour comparer des groupes de personnes qui suivent différents protocoles pour déterminer ceux qui sont les plus efficaces. Pour notre exemple, les études ont montré que pour la prévention du diabète de type 2 une activité physique modérée (30mn de marche) donne de très bons résultats si elle est pratiquée quotidiennement.

La place des arts énergétiques chinois (AEC)

Parmi toutes les activités « sportives », le qigong est une des rares à avoir été développée dans l’idée de conserver ou de rétablir la santé. Il est un des éléments essentiels dans la culture de la longévité et du bien-être prônés par la sagesse chinoise. En plusieurs millénaires d’existence, ses méthodes ont été éprouvées, améliorées, peaufinées. Une grande variété de pratiques permet de répondre à tous les besoins. Certaines sont surtout méditatives, d’autres plus physiques voir même athlétiques.

L’éducateur sportif en AEC possède donc une grande palette d’outils à disposition pour ses élèves, et dans les différents dispositifs de santé en particulier. Il peut choisir parmi de nombreux mouvements, et les adapter pour répondre aux besoins des publics spécifiques. Même quand de lourdes incapacités sont présentes. Reste à adapter la fréquence, la durée, et l’intensité pour répondre aux critères déterminés par la médecine moderne.

Mais n’oublions pas l’art de Hua Tuo. L’efficacité de la médecine traditionnelle chinoise est validée par les méthodes statistiques modernes pour de nombreuses pathologies. Ces différentes spécialités : acupuncture, pharmacopée, massages sont étudiées dans des hôpitaux dans le monde entier. Pour le qigong, il est validé en tant qu’activité physique, mais qu’en est-il de sa valeur énergétique suivant les principes de la médecine traditionnelle ? Pour reprendre l’exemple précédant, faire du qigong est bon pour le diabète. Mais faire l’exercice de l’ours ou une autre des multiples méthodes qui agissent sur l’énergie du pancréas est-il encore plus efficace ? Nous avons devant nous un vaste champ à explorer, certaines études valident d’ores et déjà cette démarche.

Un exemple parmi d’autre, le New England Journal of Medecine a publié un article sur les effets comparatif du qigong sur l’équilibre et la maitrise des mouvements de malades atteints d’une forme modérée de Parkinson par rapport à des méthodes de renforcement musculaire et d’étirement. Au bout de six mois, les pratiquants du groupe de Qigong ont obtenu un meilleur équilibre et un meilleur renforcement que les autres : deux fois plus que le groupe de renforcement et quatre fois plus que celui des étirements. Ceci est très encourageant, mais reste à vérifier pour toutes les pathologies susceptibles de répondre à l’activité physique.
Toutes ces démarches modernes, mathématiques sont passionnantes et répondent bien à la compréhension des occidentaux du XXIe siècle. Il faut savoir toucher un public aussi large que possible en se mettant à la portée de tous. La tradition a toujours su s’enrichir des nouvelles découvertes et de l’évolution naturelle des esprits et des cultures. Toutefois, il serait dommage de perdre l’esprit originel des arts énergétiques. Leur substantifique moëlle reste toujours au-delà de tout ce que les scientifiques pourront jamais mettre dans leurs éprouvettes. La pratique du qigong n’est pas qu’une démarche hygiéniste de santé et de bien-être, c’est aussi un art de vivre.
On peut parler d’amour en l’expliquant par des taux d’hormones, des stimulations des cortex cérébraux, par le biais de la psychologie, de la sociologie etc. Mais pour parler de l’expérience amoureuse ne vaut il mieux pas utiliser la poésie, la musique, l’art ? Comme dans l’état amoureux, certains aspects ne peuvent se comprendre que par l’expérience et ne peuvent pas s’expliquer. Il est dit dans le Dao De Jing : « La Voie qu’on peut énoncer n’est déjà plus la Voie ».

Ecrit par AUGOYARD Eric

Eric Augoyard a suivi une formation universitaire en physique et a travaillé plusieurs années dans l'aéronautique. Suite à un changement de vie, il s'est orienté vers l’exercice de la médecine traditionnelle chinoise pendant près d'un quart de siècle. Il se consacre maintenant entièrement à l’enseignement du qigong et du taichi.
Ayant pu apprécier les démarches de la science et celles de la tradition, il aime à concilier les deux.

Il a écrit deux livres pour mettre à la portée de tous les trésors de la pensée chinoise :

 - La voie du coeur en médecine traditionnelle chinoise, éd. Fleur de Prunier

- 12 points de digotoponcture pour tout guérir, éd. Cépadues

ACCUEIL | Monsite (ericaugoyard4.wixsite.com)

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